De 1984 à 2019, la part de salariés exposés aux conditions des plus difficile physiquement a doublé, selon le ministère du Travail. Il y a 40 ans, 21,5 % d’entre eux indiquaient porter des charges lourdes, ils étaient 40,5 % en 2019. Durant la même période, la fraction de ceux contraints de rester longtemps dans une posture pénible est passée de 16,2 % à 35,8 %, ceux soumis à des vibrations de 7,6 % à 17,3 %.

Si la hausse est moins importante, la tendance est la même pour ceux qui travaillent dans la saleté, dont la part est passée de 21,8 % à 30,1 %, ou dans l’humidité (de 12,7 % à 22,2 %). Enfin, la proportion de travailleurs dont le travail dépend du déplacement automatique d’une pièce ou d’un produit a augmenté de 2,6 % à 7 %.

Ces moyennes masquent des écarts énormes : chez les ouvriers non-qualifiés, la part de ceux à qui on impose de rester longtemps dans une posture pénible est de 54 %, celle de ceux qui doivent porter des charges lourdes de 65,8 %. Même si elles occupent en général des postes moins durs physiquement, la dégradation est nette chez les femmes dans certains domaines : la part de celles travaillant dans une posture pénible a augmenté de 13,4 % à 42,3 % toujours entre 1984 et 2019. Il faut noter que ces données ne comprennent pas les travailleurs indépendants, dont certains, les moins qualifiés, exercent aussi dans des conditions physiques pénibles, comme les livreurs à vélo par exemple.

Ces chiffres bruts vont à l’encontre d’un discours fréquent sur le travail « moderne » qui se serait délesté des tâches les plus physiques. L’utilisation de nouvelles technologies, la mécanisation des tâches les plus intenses et le développement d’une économie centrée sur les services n’aboutissent pas à une société dans laquelle le travail serait plus facile. Pour une très grande part des salariés, le quotidien du travail est physiquement éprouvant et marque les corps au fil des années. Ces évolutions sont d’autant plus marquantes qu’au cours de la même période l’emploi industriel a fortement baissé. La part d’ouvriers dans l’emploi est passée de 30 % à moins de 20 %.

Pour certains indicateurs, comme le fait de rester longtemps dans une posture pénible, voire porter des charges lourdes, les évolutions datent des années 1980 à 2000. On notera aussi la diminution de la part du travail soumis au déplacement automatique d’un produit depuis 2013. Rien ne dit que la tendance générale à une pénibilité croissante soit destinée à se prolonger. Tout dépendra à la fois des transformations des métiers, de l’utilisation de technologies visant à soulager l’effort, mais aussi des rythmes imposés. Pour l’heure, ces données permettent de mieux comprendre la réalité physique du travail en France et, par exemple, les réticences des personnes les plus usées à voir s’éloigner l’horizon d’une retraite attendue.

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