Entre la ville, l'habitat périurbain ou rural, où les niveaux de vie sont-ils les plus élevés ? Longtemps, la richesse des villes a attiré les populations démunies de la campagne, et entraîné un phénomène qualifié d'exode rural. La division de l'espace est devenue plus complexe, notamment du fait de l'étalement urbain. Les banlieues des villes se sont étendues, en particulier du fait de l'essor de l'habitat pavillonnaire périurbain.
Le débat sur les niveaux de vie des territoires n'est pas nouveau. Les banlieues défavorisées, et en particulier les quartiers définis comme "zones urbaines sensibles", sont souvent présentés comme les territoires qui cumulent les difficultés 1. Selon une thèse qui rencontre un certain succès médiatique2 ce serait désormais loin de la ville, dans l’espace périurbain et rural que se localiserait la pauvreté. Pourtant, selon les données de l'Insee, l'espace périurbain, même s'il est très loin d'atteindre les niveaux de vie des quartiers aisés de centre-ville, reste, en moyenne, largement favorisé. Les personnes aux revenus les plus faibles vivent en partie dans le monde rural éloigné et vieillissant, mais surtout dans les quartiers d'habitat social.
Les campagnes plus pauvres que les villes
Les campagnes demeurent en moyenne moins riches que les villes. Le niveau de vie médian (après impôts et prestations sociales) de l'espace urbain vaut 19 200 euros annuels pour une personne seule, contre 18 800 euros pour l'espace rural, soit 2 % d'écart (données 2009). Ces moyennes cachent des inégalités selon les territoires : dans près de la moitié des régions (Champagne-Ardenne, Ile-de-France, Haute-Normandie notamment), le niveau de vie des ruraux dépasse celui des urbains, et dans une autre moitié (Aquitaine, Limousin, Midi-Pyrénées par exemple), c'est l'inverse.
Le taux de pauvreté au seuil de 60 % du niveau de vie médian (données 2009) est beaucoup plus élevé en ville. Il y atteint en moyenne 14 %, contre 11,6 % dans les campagnes, soit 20 % de plus. En Ile-de-France le taux de pauvreté des villes est même 2,7 fois supérieur à celui des campagnes. Si la ville est en moyenne plus riche, les écarts y sont beaucoup plus grands que dans le monde rural, et les populations défavorisées bien plus pauvres.
Bien entendu, il existe des inégalités au sein des campagnes : on y trouve des exploitations agricoles dont la rentabilité varie très fortement, des populations aisées qui s'y établissent au moment de la retraite ou pour échapper aux nuisances de la ville. Les régions où la pauvreté rurale est la plus forte par rapport à la ville (Auvergne, Limousin et Bretagne notamment) sont celles qui comprennent des populations d'agriculteurs âgés avec des pensions de retraite très faibles, pauvreté accentuée par le fait que l'activité des femmes sur les exploitations n’a pas toujours été enregistrée officiellement, comme l'Insee Auvergne l'a montré pour le Cantal et la Haute Loire par exemple.
Le périurbain plus riche que les grands pôles urbains
Le niveau de vie moyen de l'espace périurbain s'élève à 19 700 euros, contre 19 300 dans les grands pôles urbains, un écart moyen de 2 %, similaire à celui qui existe entre la ville et la campagne au niveau national. Mais la différence est défavorable au périurbain dans quatre régions seulement : Pays de la Loire, Aquitaine, Midi-Pyrénées et Bretagne.
Le taux de pauvreté dans les grands pôles urbains (14,8 %) est supérieur de 60 % à celui de l'habitat périurbain (9,4 %). En Alsace, le taux de pauvreté des villes est même 2,6 fois supérieur (15,7 % contre 6,2 %). Dans aucune des régions la pauvreté n'est plus élevée dans l'habitat périurbain que dans les villes, mais elle atteint des niveaux très importants en Corse (16 %) et en Languedoc-Roussillon (15,1 %).
L'espace périurbain rassemble un grand nombre de couches moyennes salariées qui ont choisi l'habitat pavillonnaire et ses avantages : espaces verts, maisons individuelles, coût du logement inférieur, etc. Là aussi entre les résidences haut de gamme et l'univers pavillonnaire moyen les écarts de niveaux de vie sont notables, ce qui n'en fait pas pour autant le cœur territorial des difficultés économiques et sociales 3.
Les "cités" beaucoup plus pauvres
A l'intérieur des pôles urbains, les inégalités ont une toute autre dimension. Les revenus moyens des villes sont tirés vers le haut par quelques quartiers très aisés. Les zones urbaines sensibles demeurent, de très loin, les territoires les plus défavorisés de France. La comparaison des niveaux de vie est sans équivoque. Le revenu fiscal annuel moyen par personne (données 2009) atteint 12 300 euros, moitié moins que celui des agglomérations comprenant une zone urbaine sensible (22 561 euros). Attention toutefois, le concept de revenu fiscal utilisé ici ne comprend ni les impôts ni les prestations sociales, contrairement aux données précédentes : prendre en compte ces ressources augmenterait le niveau de vie des plus démunis et réduirait le niveau de vie réel des plus riches, mais ne modifierait pas, loin s'en faut, le sens de la comparaison.
Le taux de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian (en incluant les prestations sociales) atteint 36 % dans les zones urbaines sensibles, trois fois plus que dans le reste de la France hors des quartiers sensibles. Chez les jeunes vivant en ZUS, il atteint 49 %, près d'un sur deux, contre 16 % en moyenne dans le reste du territoire hors de ces quartiers.
Certes, le visage des ZUS est très différent de la caricature médiatique qui en est fait. Mais les niveaux de vie et de pauvreté qui existent dans les quartiers populaires n'ont tout simplement rien à voir à ce que l'on peut rencontrer dans le périurbain et les centres-villes favorisés. Ceci est dû en grande partie à l'implantation de l'habitat social : c'est là que logent les familles les moins aisées, souvent celles qui n'ont pas les moyens de vivre en pavillon hors de la ville et encore moins au cœur des villes.
Le bilan
Le monde rural dispose en moyenne de revenus inférieurs, mais les taux de pauvreté y sont moins élevés, sauf dans les campagnes les plus reculées, où persiste une pauvreté d'agriculteurs âgés. L'habitat périurbain est davantage favorisé que le reste du territoire de la ville, dont il a attiré une partie des couches moyennes, notamment des familles. Au total, selon nos estimations, 6 millions de personnes pauvres vivent dans les grands pôles urbains dont 1,6 million dans les zones urbaines sensibles, un million dans le périurbain et 1,6 million en milieu rural4.
Pour mieux comprendre la disposition des revenus dans l'espace, il est intéressant d'observer la carte des revenus d'un département. Nous avons choisi celle de l'Indre-et-Loire, mais même si les revenus sont inégaux selon les villes, le paysage des revenus offre à peu près partout le même visage 5. :
Revenu médian des communes d'Indre-et-Loire en 2009
Source : logiciel Cabestan/Compas, d'après les données de l'Insee.
Au centre, Tours 6 dispose de revenus moyens inférieurs à sa périphérie où l'habitat pavillonnaire constitue l'essentiel des logements (Saint-Avertin, Saint-Cyr, Fondettes, etc.), puis les revenus décroissent en se dirigeant vers les communes rurales les plus éloignées 7. Mais la ville est elle-même divisée. Sa moyenne regroupe des quartiers très favorisés, le plus souvent au centre, et des territoires d'habitat social en grande difficulté économique, que continuent à quitter les couches moyennes et qui subissent lourdement les effets de l'accentuation de la crise de l'emploi depuis 2008. 8
Les inégalités spatiales de niveau de vie les plus vives se situent entre les quartiers de la ville centre, et non entre cette partie de la ville et l'habitat périurbain ou le monde rural. Si ces inégalités ne débouchent pas sur davantage de tensions, c'est en partie parce que les quartiers demeurent marqués par des séparations physiques créées par l'aménagement urbain (routes, voies de chemin de fer, bureaux, commerces), mais aussi symboliques.
Au-delà des revenus : logement, transports, cadre de vie… L'observation des revenus ne reflète pas exactement ce dont disposent les ménages pour consommer. En particulier, elle ne prend pas en compte des coûts de logement. Si c'était le cas, on observerait une diminution des inégalités, car les plus aisés se logent en moyenne dans les quartiers les plus chers. Les niveaux de vie corrigés des campagnes, du périurbain ou de l'habitat social seraient plus élevés du fait de coûts de logement inférieurs. Il faudrait alors prendre en considération d'autres éléments, comme les coûts de transports, défavorables à ceux qui vivent le plus loin des emplois, des commerces et des loisirs, ce qui rééquilibrerait très partiellement les niveaux de vie. Compte tenu de son poids dans le budget des ménages, l’effet du coût du logement est sans commune mesure avec l’effet transport. Au-delà des niveaux de vie, les populations les plus éloignées des centres-villes n'ont pas accès aux mêmes services (loisirs, culture, commerce, santé, etc.). En contrepartie, elles disposent d'autres avantages : logements plus spacieux, nuisances réduites (bruit, pollution, etc.), environnement naturel. « C’est en couronne périurbaine que la satisfaction sur le cadre de vie est la plus forte et que le sentiment de sécurité est le plus développé. », notait le Crédoc dans un rapport sur le logement. La difficulté est de déterminer la part de choix et de contraintes de l'éloignement du centre-ville, notamment du fait des coûts prohibitifs du logement. Ce qui à un moment donné du cycle de vie relève du choix de quitter un monde trop urbain peut devenir une contrainte du fait de l'élévation du coût des transports, d'un changement d'emploi, d'une séparation, etc. |
Notes:
- Voir le rapport 2012 de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles ↩
- Voir par exemple "Fractures françaises", Christophe Guilluy, Bourin éditeur 2010 ↩
- La question du "ressenti" des couches moyennes est différente. Elle n'est pas propre à l'habitat périurbain. On sait de longue date que ne profitant ni des politiques de réduction d'impôts ni des politiques sociales sous conditions de ressources, ces catégories peuvent avoir le sentiment, à tort ou à raison, d'être peu soutenues par l'action publique. Leur sentiment de fragilité est notamment élevé pour les catégories que ne disposent pas de statut d'emploi protégé ↩
- Ces données sont des estimations réalisées à partir de sources différentes pour 2010 et ne peuvent être additionnées ↩
- Voir par exemple les données de l'Insee sur la région rémoise ↩
- Comme Saint-Pierre des Corps située à l’Est, Joué-Les-Tours au Sud et La Riche à l'Ouest ↩
- La lecture de la carte est trompeuse car elle ne prend pas en compte la densité de population, beaucoup plus grande en ville. Les campagnes ne regroupent qu’une faible part de la population globale ↩
- Voir l’exemple de Tours ou de Strasbourg. ↩