Quel est le bilan de santé des sans domicile ? Loin du stéréotype du clochard, ivrogne et malade, mais tout aussi loin du niveau du reste de la population, comme le montre une étude du ministère de la Santé1. Dans cette enquête, les sans domicile ne vivent pas nécessairement à la rue en permanence. Ce sont les personnes qui fréquentent les centres d’hébergement et qui ont passé la nuit précédent l’enquête dans un lieu non-prévu pour l’habitation. Leur nombre est évalué à 140 000 en 2012, dont 12 700 auraient dormi à la rue, 65 000 dans un service d’hébergement social, 46 500 auraient été logés par une association. Ils ont en moyenne 40 ans, un âge où en général on est en général en bonne santé. 55 % se disent en bonne ou très bonne santé, soit 15 points de moins que l’ensemble de la population de 18 à 75 ans, dont l’âge moyen est pourtant plus élevé (45 ans). Chez les moins de 60 ans, un tiers dit souffrir d’une maladie chronique, contre un quart de la population du même âge.
De nombreux sans domicile ont une dentition dégradée. Un quart déclare être édenté et 7 % totalement ou presque. Plus d’un tiers n’ont pas vu de dentiste depuis deux ans et 60 % des personnes qui déclarent avoir perdu toutes leurs dents ou presque ne sont pas allées chez le dentiste depuis deux ans. Certains parasites, qui ont quasiment disparu dans la population, atteignent une part non-résiduelle des sans domicile qui dorment à la rue : 5,5 % sont atteint de pédiculose (poux) et 6,5 % de la gale, selon des données 2011 pour l’Ile-de-France2. Selon une autre étude menée en 2009 – toujours en Ile-de-France – les sans domicile seraient dix fois plus souvent sujet à des troubles psychotiques (notamment la schizophrénie) et auraient une consommation de stupéfiants trois à six fois plus fréquente3. Plus d’un sans domicile sur cinq serait dépendant à l’alcool.
Les sans domicile ne sont pas exclus des soins : 85 % sont allés chez le médecin dans l’année, dont 94 % des femmes et 79 % des hommes. 90 % sont couverts par l’assurance maladie et les trois quarts disposent d’une couverture complémentaire. Comme pour la population générale mais de façon amplifiée, ce sont logiquement les soins les plus coûteux, mal couverts même par une assurance complémentaire, qui posent le plus problème.
Si ces données d’enquête permettent d’en savoir un peu plus sur une population en difficulté, elles doivent être utilisées avec beaucoup de précaution. Outre les difficultés d’interrogation d’une population marginalisée, l’univers des sans domicile regroupe des personnes brisées qui accumulent les troubles psychologiques, les addictions et les pathologies, vivant dans le plus grand dénuement, mais aussi des jeunes en galère ou des familles hébergées très provisoirement. Avec des problèmes de santé très différents.
Comme l’indique le ministère de la Santé, la cause des problèmes de santé des sans domicile n’est pas facile à déterminer. La vie à la rue ruine la santé, mais des troubles graves de la santé peuvent aussi conduire à la rue, notamment pour ceux qui ne peuvent compter sur des soutiens parmi la famille ou les amis (ou qui s’en écartent eux-mêmes). Quand aux remèdes, là aussi la prudence s’impose. Le recours aux médecins d’une grande partie des sans domicile devrait pouvoir déboucher sur des réponses, note le ministère. La question se pose davantage pour les hommes que pour les femmes. Encore là aussi faut-il mesurer la complexité de la tâche. En matière de santé, la prévention joue un rôle essentiel, mais il est difficile de prévenir des populations qui vivent à la marge. Il l’est aussi de traiter des situations où les problèmes de santé physique et mentale, d’insertion professionnelle, de logement ou d’isolement se combinent à des degrés divers. Quand ils le peuvent, les sans-abri ont aussi de « bonnes raisons » de ne pas vouloir qu’on leur porte secours, même s’ils peuvent avoir tort de ne pas y avoir recours. Ce refus n’est seulement lié à des troubles psychiques, comme l’analyse le sociologue Julien Damon4 mais aussi, par exemple, aux conditions de prise en charge (centres d’hébergement inadapté, mauvaises expériences qu'en ont les SDF, etc).
Notes:
- »La santé et le recours aux soins des personnes sans domicile en France en 2012 », Muriel Moisy, BEH n°36-37, 17novembre 2015. ↩
- « Prévalence de la gale et de la pédiculose corporelle chez les personnes sans domicile en Ile-de-France en 2011 », BEH, op. cit. ↩
- « La santé mentale et les addictions chez les personnes sans logement personnel en Ile de France », BEH, op. cit. ↩
- « Les « bonnes raisons » des SDF », Julien Damon, Commentaires n°125, 2009. ↩