Pour comprendre la mesure de la pauvreté en France, il faut faire un peu de calculs, vraiment très simples. À la base, on part d’une hypothèse : la pauvreté est relative au niveau de vie de la société dans laquelle on vit. On est pauvre par rapport aux autres et non dans l’absolu. On aurait pu décider – c’est le cas aux États-Unis – que les pauvres sont ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter tel ou tel bien, d’avoir recours à tel ou tel service, etc. On a choisi le relatif parce qu’on considère qu’une personne pauvre est celle qui est exclue des normes de vie de base de la société à un moment donné. Quand la société s’enrichit, ces standards s’élèvent, et donc le seuil de pauvreté aussi. Inversement quand elle s’appauvrit. Les pauvres d’aujourd’hui ont des revenus bien plus élevés que ceux d’hier parce que la société s’est enrichie et que les besoins que l’on juge essentiels ne sont plus les mêmes.

Pour mesurer les revenus, l’Insee utilise les déclarations d’impôts sur le revenu. L’Institut rassemble tous les revenus (salaires, revenus financiers, prestations sociales, etc.)  puis il en retire les impôts directs (notamment l’impôt sur le revenu et la CSG). Il obtient alors un revenu « disponible ». L’indicateur de base qui va servir à définir le seuil de pauvreté est le revenu disponible « médian ». Médian, cela veut dire que la moitié de la population touche moins, l’autre moitié touche plus. En 2019, ce niveau de vie médian vaut 1 836 euros par mois pour une personne seule : la moitié vit avec moins que ça, la moitié avec plus.

Nous avons décidé au départ que la pauvreté était relative à ce seuil. Certes, mais relative de combien ? Là aussi, il faut faire un choix. On décide arbitrairement. Longtemps on a fixé la barre à 50 % du niveau de vie médian. Donc : 50 % du niveau de vie médian, qui partage la population en deux. Depuis les années 2000, l’Insee utilise plutôt 60 %, mesure européenne. On aurait tout aussi bien pu opter pour 40 %, 70 %, 54 % ou 62 %.

Là commencent les calculs. Gardons notre barre de 50 %. Donc, 50 % de 1 836 euros = 918 euros. Voilà le seuil de pauvreté pour une personne dit « à 50 % » (données 2019). Ensuite, il reste une dernière opération. 918 euros, c’est le seuil pour une personne. On peut difficilement l’appliquer à une famille de cinq. On ne vit pas de la même manière en fonction du nombre de bouches à nourrir. Alors, l’Insee a établi un système de « parts » qui en langage de statisticiens s’appellent des « unités de consommation ». Chaque personne ne vaut pas pour une part parce que l’on n’a pas besoin d’une cuisine ou d’une salle de bain par personne par exemple. Donc, la première personne vaut une part, toutes celles de plus de 14 ans qui vivent dans le même logement, 0,5 part, tous ceux de moins de 14 ans, 0,3 part. C’est approximatif bien sûr, mais cela permet de comparer les niveaux de vie entre différentes formes de ménages.

Vous avez suivi ? Alors calculons. Le seuil de pauvreté à 50 % est de 918 euros pour une personne seule. Pour un couple, il est de 918 euros multipliés par 1,5 (la première personne vaut une part, la seconde une demie) soit 1 377 euros mensuels. Pour une famille avec deux enfants de plus de 14 ans de 918 multipliés par 2,5 (une part complète et trois demi-parts = 1+1,5=2,5) donne 2 295 euros. Ci-dessous, vous trouverez l’ensemble des seuils de pauvreté en 2019 en fonction de la composition de quelques familles types. Il ne reste plus à l’Insee à compter dans ces fichiers tous ceux qui vivent avec moins de 918 euros pour une personne, 2 295 euros pour un couple, etc. Ce qui donne le nombre de pauvres. Rapporté à la population, on obtient alors le taux de pauvreté.

Tirons quelques leçons de notre opération. Pour définir la pauvreté, nous avons fait deux choix. Premièrement, nous avons opté pour une définition relative au niveau de vie de la société et non un ensemble de choses dont on ne pourrait se passer. Deuxièmement, nous avons opté pour un taux en fonction du niveau de vie médian (ici, 50 %). Ce dernier choix a un effet très important. Ainsi, en 2019, si on choisit comme nous l’avons fait le taux de 50 %, nous arrivons à cinq millions de personnes pauvres. Si on choisit le seuil de 60 %, on arrive à 9,3 millions. Contrairement à ce qui est souvent dit, cela ne veut pas dire que l’on fait dire ce que l’on désire aux chiffres : on pose des hypothèses différentes, discutables, mais qu’il faut bien avoir ces hypothèses en tête quand on parle de pauvreté.