Le niveau de vie médian1 stagne à 1 700 euros mensuels depuis bientôt dix ans. Les dernières données disponibles datent de 2016, mais tout indique qu’il n’y a pas eu d’amélioration depuis : les salaires progressent peu et l’inflation reprend.

Durant dix ans (de 2008 à 2018) les revenus n’auront donc pas progressé pour la très grande majeure partie de la population, des catégories populaires aux classes moyennes. Notre pays n’avait jamais connu un tel phénomène depuis 1970, date la plus ancienne pour laquelle les données sont disponibles. En réalité, il faut remonter à la crise des années 19302 pour observer une évolution similaire.

Pour les catégories populaires, la stagnation des revenus n’est pas nouvelle, elle date du début des années 2000. Les plus pauvres ont même vu leurs revenus diminuer certaines années. En dépit du ralentissement de la croissance à partir des années 1970, les classes moyennes3 se situaient toujours dans une dynamique de progrès. Selon l’Insee, le niveau de vie médian a progressé de 16 % entre 1998 et 2008, soit 230 euros mensuels, inflation déduite (pour une personne). Ces classes moyennes ne sont pas « étranglées » comme on le lit souvent, mais l’accès aux bienfaits de la société de consommation n’est plus le même quand les ressources stagnent. Il devient plus difficile de se loger, de partir en congés, d’acheter le dernier smartphone, etc. Les budgets sont plus serrés.

En régime d’élévation des revenus, quand le gâteau s’accroît un peu, le partage est plus facile : les plus aisés lâchent plus facilement du lest. Quand les revenus stagnent, les tensions entre catégories s’intensifient. D’où, par exemple, l’importance prise dans le débat public par le niveau des impôts et le « ras-le-bol fiscal » avancé par les catégories les plus imposées. La nécessité de légitimer dans l’opinion les gains obtenus – pour ceux qui continuent malgré tout à s’enrichir – est de plus en plus forte. Elle passe par la mise en avant régulière du niveau d’études, du talent, des responsabilités ou du nombre d’heures travaillées, autant de critères très subjectifs. Il faut s’attendre à des débats très vifs autour des prochaines modifications de la fiscalité.

Cette société aux niveaux de vie figés pour le plus grand nombre est-elle destinée à durer ? Assiste-t-on à une forme de seconde « stagnation séculaire »4 pour reprendre l’expression forgée par l’Américain et conseiller du président Roosevelt Alvin Hansen dans les années 1930 ? Depuis 20 ans, la France n’a plus connu de phase de reprise notable. On peut même se demander s’il s’agit d’une stagnation avant une reprise ou d’un nouvel équilibre économique, plus durable. Tout dépendra de l’évolution de la croissance de l’activité et de la répartition des revenus. Quoi qu’il en soit, la durée exceptionnelle du ralentissement économique et son impact interrogent les choix réalisés en matière de politiques économiques et de redistribution de la richesse.

 

Notes:

  1. Autant touche moins, autant touche davantage. Données après impôts et prestations sociales pour une personne seule.
  2. La comparaison doit se faire avec prudence, en 1930, le niveau de vie était beaucoup plus faible.
  3. Il s’agit ici des classes qui se situent autour du niveau de vie médian.
  4. Période durable de faible croissance (voir graphique) liée à la conjonction de différents facteurs (progrès technique, atonie de la demande, démographique, etc.