A Rennes, les revenus des plus riches ont augmenté de 5,5 % entre 2008 et 2011, ceux des plus pauvres a diminué de 11,8 %. La crise creuse les inégalités, mais les moyennes nationales masquent des écarts encore plus importants au niveau local. L'Insee vient de livrer les premières données sur les revenus des communes pour 2011 (hors impôts et prestation sociales) qui permettent d'établir un premier bilan de la crise. Nos données pour les 150 plus grandes villes de France confirment que l'on assiste à un décrochage par le bas : les plus pauvres s'appauvrissent.
Les villes où le revenu médian progresse le plus
Observons d’abord les évolutions du revenu médian 1 entre 2008 et 2011. Les villes pour lesquelles la crise semble avoir eu le moins d’effet sont pour partie des villes du Sud de la France et de l’Ouest parisien. A Aubagne, Ajaccio, Salon-de-Provence ou Pessac, le revenu médian annuel pour une personne a progressé de 7 % en dépit de la crise. Même chose à Issy-Les-Moulineaux, Puteaux ou Asnières-sur-Seine.
Ces pourcentages reflètent la dynamique des revenus, mais ne renseignent pas sur l’évolution concrète du niveau de vie : quand il s'agit de faire ses courses ou de se loger on raisonne en euros. Logiquement 2 le revenu médian s’est le plus accru dans les communes les plus riches du pays, situées dans l’Ouest parisien : à Issy-Les-Moulineaux, Neuilly-sur-Seine, Boulogne-Billancourt, Vincennes ou Levallois-Perret, la progression est supérieure à 2 000 euros de revenus annuels entre 2008 et 2011. La crise n’a visiblement pas atteint ces communes, même si, pour partie (et notamment pour les communes du Sud de la France), l’arrivée de personnes âgées plus aisées que la médiane a joué un rôle.
Et les quartiers ?
Nos données sur les villes offrent un nouvel éclairage en matière d’évolution des revenus et des inégalités. Il faut cependant en mesurer les limites. A l’intérieur même d’une ville, les écarts peuvent être importants entre les quartiers. Une commune peut connaître une situation globalement favorable, mais avoir en son sein des quartiers dans lesquels les populations sont en difficulté. Ainsi, Salon-de-Provence a connu l’une des plus fortes progressions en matière de revenu médian, mais la situation dans le quartier de La Monaque (zone urbaine sensible) n’est pas florissante. La question posée est celle de l’échelle pertinente d’observation. Pour comprendre les inégalités, se contenter d’une analyse nationale masque une partie de la réalité des problèmes sociaux, mais c’est aussi le cas quand on se situe au niveau communal.
Les villes où le revenu médian diminue
A l’autre bout de l’échelle, on trouve des communes où le revenu médian a diminué : Dunkerque et Le Blanc-Mesnil (-2,4 % chacune). En outre, nos données ne tiennent pas compte de la hausse des prix. Comme ceux-ci ont augmenté de 3 % au cours de la période, cela veut dire que pour une bonne moitié de nos 150 communes le pouvoir d’achat (le revenu moins l’inflation) des catégories médianes a diminué. Un phénomène profond, qui illustre l’ampleur de la crise. Du Blanc-Mesnil à Bobigny en passant par Drançy, de nombreuses communes de Seine-Saint-Denis figurent parmi celles où les couches moyennes sont les plus fragilisées. Là aussi, la mobilité peut avoir joué : les villes du bas du classement selon l’évolution du revenu médian sont aussi celles qui continuent à accueillir des populations modestes, du fait notamment de loyers qui demeurent relativement moins chers.
Les villes où les riches s'enrichissent le plus
Annecy, mais aussi Nanterre, Ajaccio ou Lille : dans ces communes, le revenu des plus riches augmente le plus en pourcentage. Les couches aisées n'y sont pas forcément les plus riches de France, mais la dynamique est la plus forte. De Fontenay-sous-Bois à Colombes en passant par Alfortville ou Meudon, bon nombre de communes de la banlieue parisienne figurent dans cet ensemble où la croissance du revenu des 10 % les plus riches est de l'ordre de 7 à 8 % entre 2008 et 2011. Si l’on raisonne non plus en pourcentage mais en euros, le niveau de vie des plus aisés progresse de 2 ou 3 000 euros en trois ans dans un grand nombre de communes. Parfois plus, comme à Annecy mais aussi Suresnes (+ 4 100 euros), Boulogne-Billancourt (+ 4 500 euros) ou Neuilly-sur-Seine (+ 7 200 euros).
Les villes où les pauvres s’appauvrissent le plus
A l'opposé, dans dix communes de France la baisse du seuil des 10 % les plus pauvres a été supérieure à 25 % : Roubaix, Béziers, Charleville-Mézières ou Perpignan sont les plus touchées. Certes, ces chiffres doivent être considérés avec précaution car ils n'intègrent pas les prestations sociales, mais les données 2010 de l'Insee avaient montré que même en les prenant en compte, le décrochage des plus pauvres est manifeste (lire notre article).
Dans la plupart des communes, le seuil des 10 % les plus pauvres a diminué si l’on raisonne en euros. Parfois de quelques dizaines d'euros annuels (pour une personne seule), mais dans certains cas d'environ 1 000 euros, comme à Limoges, au Mans ou à Charleville-Mézières.
Les communes où le revenu des pauvres augmente plus que celui des riches, et inversement.
Nulle part le revenu des plus riches n'augmente moins vite en euros que celui des plus pauvres : c'est logique, puisque les augmentations sont décidées très généralement en pourcentage. En revanche, il existe quelques communes (12 sur 150) dans notre classement où la progression en pourcentage a été plus rapide pour les 10 % du bas de l'échelle que pour les 10 % du haut de l’échelle. C’est le cas, par exemple, de Courbevoie, Puteaux, Aubagne ou Cagnes-sur-Mer. Dans l’immense majorité des cas, la situation est inverse, avec une hausse souvent comprise entre 4 et 8 % pour les plus riches et une baisse à peu près équivalente pour les plus pauvres.
Les villes où les inégalités augmentent, celles où elles baissent
Mulhouse, Colmar et Carcassonne sont les trois villes où les inégalités ont le plus augmenté, si on les mesure via l’indice dit de Gini qui synthétise l’information sur les inégalités pour l’ensemble de l’échelle des revenus 3. Mais la crise accroît les inégalités quasiment partout, qu'il s'agisse de villes pauvres comme Mulhouse (13 300 euros de revenu médian) et ou d’autres beaucoup plus aisées comme Clamart (25 100 euros de revenu médian). Les inégalités ont malgré tout diminué dans une vingtaine de communes, souvent des villes aisées de banlieue ouest de Paris : Levallois-Perret, Puteaux et Suresnes. Cet effet peut être lié, partiellement, au départ de catégories les plus pauvres compte tenu du niveau des loyers.
Quels enseignements ?
Une grande partie de ces évolutions est liée à la forte progression du chômage depuis 2008. D’autres facteurs démographiques peuvent jouer – mais de façon atténuée sur un horizon de trois ans – comme l’évolution de la monoparentalité, des séparations et de la part de jeunes vivant seuls. Toujours du côté de la démographie, comme on l’a vu, il faudrait distinguer parmi ces évolutions ce qui relève de l’évolution des revenus des habitants présents en 2008 et des flux d’arrivées et de départs.
Toujours est-il que ces données font apparaître la profondeur de la crise. Les plus pauvres des communes déjà en difficulté économique décrochent, avec des baisses de niveau de vie parfois sévères, heureusement en partie compensées par notre système de protection sociale, ce qui n'est pas visible dans les données que nous présentons. Les communes où les revenus progressent le plus sont souvent les plus favorisées de la banlieue ouest parisienne.
Ce décrochage constitue un changement social majeur. Jusqu'en 2008, les inégalités augmentaient par le haut avec l’envolée des hauts revenus. Désormais, elles s’étirent aussi par le bas avec une baisse des bas revenus. Ce phénomène était identifié au niveau global, mais il était en partie masqué par les moyennes nationales : ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Notre méthode
Nous avons comparé l’évolution des revenus des plus grandes communes de France entre 2008 et 2011. Le revenu présenté est un revenu fiscal déclaré pour l’équivalent d’une personne. Il ne comprend ni les impôts, ni les prestations sociales : nos données tendent donc à exagérer les inégalités. Il s’agit de revenus courants, l’inflation n’est pas déduite : l’évolution du pouvoir d’achat (le revenu moins la hausse des prix) est donc inférieur (de l’ordre de 3 %). Notre étude ne prend en compte que 150 villes, ce qui équivaut à un seuil d’environ 40 000 habitants. Elargir notre échantillon aurait modifié nos classements, même si les inégalités sont moindres dans les communes de plus petite taille, en général. Nous n’avons pas retenu les villes des départements d’outre mer dans le classement, elles occuperaient l’ensemble des premières places en matière d’inégalités et de bas revenus : les plus pauvres des Dom ont des revenus très faibles, alors que les plus riches ont des revenus comparables aux populations des villes aisées de métropole.
Pour aller plus loin : téléchargez les données sous forme de tableau Excel
Notes:
- Il sépare la population en deux, autant gagne moins, autant gagne plus. ↩
- Ceci est lié au fait que la grande majorité des augmentations sont réalisées en pourcentage. x % de 1000 fait toujours moins que x % de 10 000 euros. ↩
- Indice qui compare la situation des revenus dans la commune à une situation d’égalité parfaite, plus il est proche de zéro plus les inégalités sont faibles, plus il est proche de un plus elles sont élevées. ↩