En 2070, la France devrait compter 19,6 millions de personnes de 65 ans et plus contre 14,8 millions aujourd’hui, selon l’Insee. Doit-on craindre un « grand remplacement » des jeunes par les vieillards ? La crainte du vieillissement est souvent exagérée (lire notre article). Les projections démographiques de l’Insee permettent de mieux comprendre comment peut évoluer notre démographie et relativisent le phénomène.

2070, c’est loin, très loin. Selon l’Insee, la France aurait alors 68 millions d’habitants, soit un peu plus qu’aujourd’hui. La part des 65 ans et plus dans l’ensemble de la population devrait passer de 21 à 29 %, un mouvement important. Cette évolution n’est qu’un scenario parmi d’autres, celui qui est dit « central » par l’Insee, c’est-à-dire avec des hypothèses moyennes, qui prolongent les tendances des vingt dernières années. Mais l’Insee présente aussi les données d’un scenario dit « population âgée », avec des progrès accrus en matière d’espérance de vie, et un autre « population jeune », avec des progrès moindres de la durée de vie1. Selon les hypothèses, la part des 65 ans et plus oscillerait alors en 2070 entre 23 et 34 %. Rien ne permet de trancher entre elles, mais il faut noter que ces dernières années l’espérance de vie augmente moins vite (voir notre article). D’autres paramètres pourraient jouer, notamment l’immigration et à plus long terme la fécondité.

Les projections de l’Insee font apparaître une accélération à venir du vieillissement de la population. Tout a commencé en fait dans les années 2010 : les premiers enfants du baby-boom, nés au milieu des années 1940, franchissent alors la barre des 65 ans. L’effet est conséquent. D’ici à une vingtaine d’années, vers 2040, les choses vont changer : les baby-boomers auront alors tous plus de 65 ans. Le vieillissement deviendra plus lent. Dans le scenario central, on passerait de 26,5 à 29 % de 65 ans ou plus en 30 ans, entre 2040 et 2070. Pour l’essentiel, la progression de la part des plus de 65 ans est la conséquence de l’exceptionnelle période du baby-boom et de l’amélioration de l’espérance de vie qui s’est déjà produite par le passé. On ressent, 65 ans après, l’onde de choc des enfants mis au monde à partir du milieu des années 1940. Vers 2040, on revient à une sorte d’équilibre de classes d’âge en proportion de la population.

Les données de l’Insee permettent d’entrer dans le détail des évolutions par âge pour les décennies qui viennent. D’ores et déjà, la part des 65-74 ans est stable. Au début des années 2020, tous les membres de cette tranche d’âge sont nés après le baby-boom : leur nombre n’augmente plus. Au début des années 2030, on enregistrera un effet semblable pour les 75-84 ans, mais avec une croissance lente jusque vers 2050. Pour les 85 ans et plus, les effets viendront bien plus tard, vers 2060. Dans les années qui viennent, c’est donc surtout la tranche des 75 ans et plus qui va occuper une part croissante de la population.

D’ici 2040, la France va se faire un peu de cheveux blancs. Il faudrait, pour inverser la tendance, soit une catastrophe sanitaire touchant les plus âgés, soit une forte poussée de l’immigration et des naissances. Aucun de ces éléments ne semblent être au programme pour l’instant, même si ces dernières années le solde migratoire a progressé. L’espérance de vie donne des signes de moindre croissance : si elle se stabilisait, ce n’est qu’en 2040 que le processus de vieillissement s’arrêterait.

Est-ce grave ? Il ne s’agit pas d’un choc, mais d’un processus lent, auquel on s’adaptera petit à petit. Il faut aussi comprendre que l’âge paraît être une notion naturelle alors qu’elle évolue dans le temps. Avoir 70 ans en 1970 et en 2020, ce n’est pas la même chose. En 2070 non plus. On a l’âge de ses artères et pour beaucoup de raisons, les artères des personnes âgées sont en meilleure forme au fil des générations : on travaille moins et moins durement, on adopte des modes de vie moins dangereux, les soins sont plus efficaces et accessibles, etc. L’âge change car les modes de vie évoluent : les grands-parents d’aujourd’hui, au même âge, n’ont plus les mêmes activités, le même rôle dans la société que ceux d’hier. Aucun élément ne permet de valider la thèse selon laquelle, en vieillissant, nos sociétés deviennent moins inventives et plus conservatrices comme on le lit pourtant régulièrement.

L’enjeu des décennies à venir est double. La question du financement des retraites a déjà été pour une bonne part anticipée en élevant l’âge de départ. La question de fond est surtout la possibilité de vieillir dans de bonnes conditions, notamment pour ceux qui ont des revenus modestes. Les « nouvelles » personnes âgées, issues de la société de consommation, souhaiteront de plus en plus exercer des activités, notamment de loisirs, même à un rythme plus lent. Que leur proposera-t-on ? À quel prix ? Vieillir dans une société marchande n’est pas simple et une partie du débat actuel sur le pouvoir d’achat des personnes âgées vient de ce phénomène. Le débat est déjà ancien, mais la question va continuer à se poser. Fera-t-on reposer le soutien des seniors sur les femmes2 de la génération suivante en particulier pour les familles qui n’ont pas les moyens d’avoir recours à des services marchands d’aide à la personne ? Si on souhaite qu’il n’en soit pas ainsi, il faudra un investissement fort de la collectivité.

Notes:

  1. Donc, une part relativement plus importante de jeunes.
  2. Dans leur immense majorité ce sont les femmes qui aident.