Peut-on comprendre la société française à l'aide de sondages ? La façon dont les personnes interrogées répondent a parfois de quoi surprendre, comme le montre une expérience menée par le ministère des Affaires sociales. Celui-ci réalise tous les ans depuis 2000 un Baromètre d’opinion, l’un des plus sérieux de France : 4 000 personnes sont interrogées. Avec l’enquête sur les aspirations des Français du Crédoc ou l’enquête européenne Arval, il s’agit de l’une des seules qui puisse être utilisée pour tirer des enseignements de fond. En 2013, le ministère a posé à la moitié de l’échantillon la question « La France consacre environ le quart du revenu national au financement de la protection sociale. Considérez-vous que c’est … ? » : 20 % ont répondu « excessif », 64 % « normal », 15,8 % insuffisant. Au même moment, il a posé la même question à l’autre moitié en remplaçant par le quart par « un tiers ». Et obtenu les mêmes résultats…

Un tiers ou un quart du revenu national consacré au financement de la protection sociale : pas de différence dans les réponses.

Source : Baromètre d'opinion, ministère des Affaires sociales, 2013.

Ce résultat est significatif de la portée des sondages. La part du revenu consacrée à la protection sociale indiqué dans la question n’a aucune influence sur la réponse, alors que la différence est énorme entre les deux questions. 160 milliards d’euros séparent en effet un quart et un tiers du revenu national, presque autant que toutes les prestations versées par l’assurance maladie, et l'équivalent de quatre fois les indemnités chômage. Les sondés ne répondent pas à la question posée précisément, mais probablement à quelque chose qui ressemble « pensez-vous que l’on dépense assez pour la protection sociale ? ». Un grand nombre de ceux qui n’en savent rien et n’osent pas ne pas répondre optent pour « normal ». Rares sont ceux qui mesurent ce que couvre le champ de la « protection sociale », encore moins sont capables d’estimer ce que représente 25 ou 33 % du revenu national (concept qu’il faudrait d’ailleurs lui-même expliquer) et de savoir si c’est « trop » ou « pas assez ». Le problème alors posé est l’utilité plus globale de ce type de d'enquête et son usage par le commanditaire.