Il flotte comme un parfum de contestation dans la société française. Si les grèves font moins recette dans un contexte de chômage de masse, les élections montrent d’année en année une montée des partis contestataires lors des élections. Le mouvement des « gilets jaunes » témoigne d’un mécontentement social profond. Les enquêtes de fond sur les valeurs font apparaître, de longue date, une montée de la part de ceux qui souhaitent « un changement radical de société ».

La part des personnes qui disent qu’il faut « changer radicalement la société française » est passée de 18 % à 23 % entre le milieu des années 2000 et la fin des années 2010, alors que ceux qui veulent « réformer la société française sur certains points tout en conservant l’essentiel » a baissé de 77 % à 71 %, selon le baromètre annuel d’opinion du ministère des Solidarités1. Le mouvement reste modeste, mais une enquête du Crédoc aboutit même à des chiffres encore plus radicaux : la part des personnes qui souhaitent « que la société change de manière radicale » serait passée de 25 % à la fin des années 1980 à 45 % au milieu des années 2010. Quant à la part de ceux qui ne veulent rien changer, elle reste très modeste, toujours inférieur à 10 % de la population.

De légères modifications des questions peuvent entraîner de grandes variations dans les réponses. En 2015, on peut signaler que 28 % (ministère des Solidarités) ou 45 % (Crédoc) souhaitaient un changement radical… La tendance, confirmée par les deux enquêtes, est plus significative : la volonté croissante de changements profonds est bien là dans une partie non négligeable de la population. Avec des poussées qui correspondent aux deux périodes des ralentissements économiques les plus marqués : le milieu des années 1980 et le début des années 2010. Une progression en escaliers : la part de ceux qui réclament un changement radical augmente durant les périodes de crise mais ne redescend pas les années suivantes.

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L’intérêt des données du ministère des Solidarités est de pouvoir entrer dans le détail et de décrire finement le portrait de ceux qui souhaitent ces changements radicaux. Bien des facteurs se conjuguent : les hommes sont plus souvent contestataires, ainsi que les quadragénaires. Mais c’est surtout une France populaire qui se dessine. Les ouvriers sont 38 % à souhaiter un changement radical, les chômeurs 37 %, les titulaires d’un BEP à 34 %, ceux qui perçoivent moins de 900 euros par moi et par personne à 32 %. Inversement, les retraités, les fonctionnaires, les plus aisés et les plus diplômés revendiquent bien moins fréquemment de changement radical. Ces réponses décrivent une société clivée, où les difficultés sont ancrées de longue date, et qui peine à apporter des réponses en termes d’insertion professionnelle aux moins favorisés, de plus en plus attirés par l’envie de renverser la table. Les périodes d’embellie économique leur profitent peu : le chômage baisse (modérément) mais la précarité reste élevée et les salaires très faibles. Aux dernières élections, les anciens partis majoritaires ont payé chèrement le fait de ne pas prendre en compte cette donnée sociale.

Il ne faut pas exagérer la porte des réponses à ce type d’enquête. Chez les ouvriers, les plus contestataires, il reste toujours une énorme majorité pour souhaiter des réformes mais préserver l’essentiel. Rien ne précise de quel « changement radical » on parle : d’accord pour changer, mais changer pour quoi ? Les partis les plus contestataires défendent des politiques opposées sur la plupart des sujets2 : les réponses radicales agrègent des opinions très divergentes. Comme aujourd’hui le mouvement des gilets jaunes porte des revendications très diverses.

Pour autant, on mesure le danger à ne pas apporter des réponses aux besoins exprimés par les milieux populaires. La mise en avant de l’exemplarité de la réussite individuelle peut être ressentie de façon très violente par tous ceux qui, en dépit d’efforts considérables, restent coincés au bas de l’échelle sociale. Si le cadre démocratique « traditionnel » tient, rien ne dit qu’il sera éternel, l’exaspération et la frustration peuvent conduire à des mouvements rapides et incontrôlables pour ceux qui pensent que la plage se trouve sous les pavés.

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Une première version de ce texte a été publiée le 30 novembre 2017.

 

 

Notes:

  1. Enquête réalisée chaque année depuis 2000 auprès de 3 000 personnes.
  2. Dont il reste à montrer qu’elles amélioreraient le sort des plus démunis, mais tout est question d’interprétation.