Avec 33,3 %, l’abstention au premier tour des législatives est revenue à son niveau des années 1990. Ce qui est logique. Depuis 2002, le couplage avec l’élection présidentielle réduisait fortement le rôle de ce scrutin. Comme nous l’indiquons depuis des années, les Français et Françaises votent quand ils estiment qu’il y a un enjeu. Quand on passe en revue la participation à l’ensemble des différents scrutins au suffrage universel de notre pays depuis le début de la Vᵉ République, la thèse d’une inexorable désaffection vis-à-vis du vote souvent avancée ne tient pas.

L’abstention s’est élevée à 48,6 % aux élections européennes de 2024, en baisse de plus de dix points par rapport au scrutin de 2009. À l’élection présidentielle, la seule qui compte réellement au niveau national (hors dissolution), la participation reste massive et on ne constate pas de mouvement de diminution. Elle est supérieure à la plupart des grands pays occidentaux. L’abstention avait atteint 25 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, niveau inférieur au record de 2002 (28 %), mais nettement supérieur à la moyenne de la Vᵉ République (20 %).

L’abstention progresse aux élections locales. En mars 2020, dans un contexte particulier d’épidémie, elle avait atteint le niveau record de 55,4 %, 20 points de plus qu’en 2014. Au début des années 1980, elle n’était que de 20-25 %. L’abstention a aussi augmenté de manière spectaculaire au premier tour des élections départementales et régionales : seul un électeur sur trois s’est déplacé contre un sur deux lors des scrutins qui ont eu lieu simultanément en 2021. La participation diminue à ce type d’élections très peu médiatisées depuis les années 1990 pour les régionales et 2010 pour les départementales. En 2021, l’épidémie de coronavirus avait limité la communication électorale et conduit une partie de la population à rester chez elle. Le couplage de deux élections simultanées n’a rien arrangé : les élections départementales ont été ignorées des médias.

Quand l’enjeu politique est fort, la mobilisation l’est aussi. Si on pouvait retirer tous ceux qui en ont été empêchés involontairement (maladie, problème administratif, déménagement, électeurs très âgés, etc.), l’abstention « choisie » serait alors extrêmement faible aux scrutins importants. Les législatives étaient devenues un vote de second rang : c’est l’élection du président de la République qui constituait le choix politique majeur dans la Vᵉ République. La participation aux législatives de 2024 le montre, dans ce cas, les Français reviennent aux urnes.

Du côté de l’offre politique, les programmes des partis traditionnels majoritaires se sont rapprochés dans les années 1980-1990. L’importance de l’alternance est alors devenue moins évidente, ce qui a alors réduit l’enjeu du vote et fait progresser l’abstention. Progressivement, la montée de l’extrême droite a réintroduit une dose d’enjeu pour les scrutins, qui maintient la participation à l’élection présidentielle, aux récentes européennes et aux législatives de 2024. Elle capte notamment une partie du mécontentement des catégories défavorisées, en désignant des boucs émissaires à leurs difficultés. La question fondamentale est celle du décalage entre l’offre politique (les programmes et les candidats) des partis classiques républicains et la demande, notamment celle des catégories populaires, qui représentent la moitié des électeurs.

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