141 500 personnes ne disposent pas de domicile personnel et utilisent les services de jour d’hébergement d’urgence ou de restauration sociale selon l’Insee 1. Si l’on y ajoute les 44 000 gens du voyage2 qui n’ont pas accès à une aire aménagée, 180 000 personnes vivraient dans des conditions totalement misérables d’habitation.
Cette mesure est sous-estimée. Elle ne comprend pas les personnes sans domicile loin de toute institution, qui ne fréquentent aucun centre. C’est une mesure à un moment donné : le chiffre des personnes qui au cours d’une année donnée doivent dormir à la rue ou dans un hébergement très précaire plusieurs nuits est plus important. Cette évaluation ne prend pas en compte l’habitat de fortune individuel en milieu rural (caravanes, mobil-homes, cabanes, etc.). L’Insee ne diffuse plus d’éléments sur ce dernier point, mais estimait que 85 000 personnes étaient concernées en 20063. Enfin, cette donnée oublie les départements d’Outre-mer, où l’Insee recense 7 000 habitations de fortune et 28 000 cases traditionnelles, soit au moins 100 000 personnes. Le véritable chiffre est donc sans aucun doute plus proche de 250 000 que de 140 000.
Ces sans-domicile sont eux-mêmes dans des situations différentes. Un sur dix vit à la rue, soit environ 14 000 personnes si on les rapporte aux 140 000 de départ4. Ils représentent l’image du « SDF » dans l’opinion publique. Parmi eux, un gros tiers déclare dormir dans une cave, un parking ou un hall d’immeuble, un cinquième à l’extérieur (rue, jardin, etc.), 14 % dans un abri de fortune (tente, cabane, etc.) et 17 % dans un « lieu public ». 45 % (un peu plus de 60 000 personnes) vivent dans des centres d’hébergement, 16 % à l’hôtel et 29 % disposent d’un logement fourni par une association ou un organisme d’aide. Ces centres d’hébergement, hôtels ou logements associatifs ne constituent pas des « logements » : il s’agit de solutions d’urgence, souvent très précaires et une partie des sans-domicile « navigue » entre différents hébergements au grès des places disponibles.
Qui sont-ils ? L’Insee a mené une enquête détaillée auprès de 111 700 personnes sans-domicile francophones5. Parmi elles, on compte 81 000 adultes, mais aussi 30 700 enfants, dont un petit millier vivrait à la rue (là-aussi un chiffre sans doute très inférieur à la réalité). Près des deux tiers des sans-domicile sont des hommes et un quart a moins de 30 ans. Un peu moins des deux tiers sont des adultes seuls, 12 % des adultes (essentiellement des femmes) avec enfants, 9 % des couples sans enfant et 17 % des couples avec enfant(s). Au total, un quart des ménages sans domicile ont au moins un enfant. Plus de la moitié des sans-domicile adultes sont des étrangers, notamment des demandeurs d’asile en attente que l’on statue sur leur sort, sans possibilité légale de travailler et donc de se loger.
Le retour des bidonvilles
Il est difficile de dire avec précision comment évolue cette situation. Entre 2001 et 2012, l’Insee a constaté une progression de 50 % du nombre de sans-domicile. Une rupture par rapport à une tendance à l’amélioration enregistrée en France depuis le milieu des années 19706. Depuis 2012, l’arrivée de migrants des pays de l’Est de l’Europe puis des réfugiés du Moyen-Orient ont aggravé les choses. On peut sans prendre de risque affirmer que le chiffre réel est plus proche de 200 000 que de 140 000.
Une partie de ces arrivants alimentent le retour d’une forme très dégradée d’habitat que notre pays avait erradiqué, les bidonvilles. Selon la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées (DIHAL), 19 000 personnes vivent dans 577 « campements illicites », nouveau terme pour décrire ces formes d’habitat. Le nombre réel est sans aucun doute là aussi plus important compte tenu des difficultés de la mesure, même si on est encore très loin des 100 000 personnes recensées au milieu des années 1970. Dans chacun des bidonvilles de Nanterre ou de Champigny-sur-Marne, en banlieue parisienne, on comptait à cette période plus de 10 000 personnes.
La situation des sans-abri fait couler beaucoup d’encre, surtout l’hiver. En revanche, notre pays n’est pas marqué par une curiosité scientifique et statistique poussée sur le sujet. En tout et pour tout, on ne dispose que de deux enquêtes sur les sans-domicile, réalisées en 2001 et 2012 par l’Insee, à plus de dix ans d’intervalle, auprès des populations qui fréquentent les centres d’hébergement d’urgence et les services de restauration sociale. Un premier travail avait été réalisé en 1995 par l’Ined. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays, comme au Royaume-Uni où des données sont publiées chaque année à partir de dénombrements réalisés dans la rue7. L’absence de données plus précises en France laisse libre court à tous les discours, qu’il s’agisse de dramatiser la situation ou de la relativiser. Une situation qui nuit à la mise en place de politiques réellement adaptées à l’ampleur du phénomène.
Notes:
- « L’hébergement des sans-domicile en 2012 », Insee Première n°1455, juillet 2013. ↩
- Estimation de la Fondation Abbé Pierre. ↩
- Une partie de ces habitants peuvent être comptés parmi les 140 000 sans-domicile s’ils vivent en ville notamment ↩
- La répartition citée est plus précisément celle des sans-domicile francophones vivant dans les villes de plus de 20 000 habitants que nous appliquons à la population totale des sans domicile pour en déduire un nombre. ↩
- « Les sans-domicile en 2012 : une grande variété de situations », Françoise Yaouancq et Michel Duée, France, portrait social, Insee Références, éd. 2014. ↩
- « Mal-logement, bidonvilles et habitat indigne en France », Julien Damon, Recherches et Prévisions, n° 76, 2004. ↩
- Voir « The homeless monitor : England 2016 », Suzanne Fitzpatrick et al., Crisis, janvier 2016. ↩