L’insécurité augmente-t-elle en France ? La question revient régulièrement au-devant de l’actualité. Il est difficile de faire la part des choses entre des inquiétudes réelles et l’instrumentalisation de faits divers pour faire de l’audience. Tous les jours, notre pays compte trois homicides. Beaucoup moins qu’il y a 30 ans, mais cela permet de nourrir une chronique médiatique à défaut d’autres événements majeurs. Les réseaux sociaux amplifient le phénomène.
S’agissant de pratiques illégales, les statistiques disponibles ne mesurent qu’une partie de ce qui se passe dans la société. C’est ce qu’on appelle le « chiffre noir » de l’insécurité. Il faut donc avancer avec une grande prudence dans ce domaine. Pour autant, avec les outils dont on dispose, rien n’indique que nos sociétés soient devenues plus violentes ces dernières années, c’est même l’inverse qui apparaît.
Si on prend en compte l’ensemble des crimes et délits enregistrés par les services de police et de gendarmerie depuis la Seconde Guerre mondiale, on note une forte hausse entre les années 1960 et le début des années 1980. On passe à l’époque de dix crimes et délits par an et pour 1 000 habitants à environ 60. Depuis, les données varient entre 55 et 65. À partir de 2016, nous avons recalculé une série une base différente, mais hormis l’année 2020 et la période de confinement, les crimes et délits sont restés stables autour de 48 pour 1 000 entre 2016 et 2022.
Ce chiffre global, longtemps utilisé dans le débat public, pose plusieurs problèmes. Des homicides à la falsification de documents d’identité en passant par des cambriolages, il rassemble des faits hétéroclites. Il dépend aussi de l’activité des services de police : quand ces derniers deviennent plus efficaces, les chiffres augmentent sans que cela traduise nécessairement une hausse de l’insécurité. Cette donnée est la conséquence grandes transformations sociales : la progression des années 1960 et 1970 est essentiellement due aux vols. On entre alors dans la société de consommation, il y a davantage d’objets à voler, on s’assure plus souvent et on les déclare davantage à la police… C’est un autre point important : la violence enregistrée par les statistiques dépend beaucoup de notre sensibilité au sujet et de notre capacité à déclarer des faits.
Violences contre les personnes
Pour mieux comprendre l’insécurité, il faut entrer dans les détails. Depuis le milieu des années 1980, les violences les plus graves diminuent : on s’entretue de moins en moins en France. Si l’on se place sur longue période, l’élévation des niveaux de vie et de diplôme d’un côté, et la meilleure protection des personnes par les forces de sécurité de l’autre, jouent. Plus récemment, le nombre annuel d’homicides a nettement baissé, de 1 400 à 800 entre 2002 et 2009, et il est à peu près stable depuis dix ans.
Le nombre de coups et blessures est resté stable de 2008 à 2016, autour de 220 000 par an, puis il a fortement progressé pour atteindre 350 000 en 2022. Ces chiffres sont utilisés pour nourrir le débat sur la hausse de l’insécurité. Pourtant, on ne peut en conclure à une explosion des violences entre personnes. Comme l’expliquent les chercheurs du Cesdip, cette situation est, pour l’essentiel, le résultat d’un durcissement de la loi : de plus en plus d’infractions sont comptabilisées comme des délits alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant.
Cette analyse est confirmée si l’on observe les déclarations des victimes et non les chiffres de la police. La part de la population qui indique avoir été agressée a peu évolué ces dernières années. Un peu moins de 2 % de la population est concernée en moyenne annuelle. Depuis la fin des années 2000, cette proportion tend à diminuer légèrement chez les hommes et à augmenter chez les femmes. Le ministère souligne l’impact joué par la sensibilisation aux violences conjugales, ce qui peut à la fois inciter davantage de femmes à porter plainte et à favoriser un accueil plus attentif dans les commissariats. On comptabilise alors des faits qui autrefois restaient dans l’ombre de la sphère domestique.
Atteintes aux biens
En matière d’atteintes aux biens, les évolutions sont très diverses. On a assisté à une remontée du nombre de cas de cambriolages dans la première partie des années 2010, puis à une baisse lente, même s’il faut mettre de côté l’année 2020 du fait du confinement. Le nombre de vols sans violence contre les personnes est stabilisé depuis le début des années 2010. En revanche, les vols de véhicules comme les destructions et dégradations volontaires (vandalisme) diminuent nettement. L’arrivée de nouveaux biens sur le marché, comme les télévisions à écran plat ou les smartphones, ont attisé les convoitises. En parallèle, les systèmes de protection se développent notamment pour les véhicules.
Le sentiment global d’insécurité
Qu’en est-il du sentiment d’insécurité dont témoigne la population (lire notre article) ? Globalement, un peu plus d’une personne sur dix se sent en insécurité « souvent » ou « de temps en temps » dans son quartier ou son village. Ce chiffre évolue peu depuis dix ans, et même depuis une vingtaine d’années selon les données présentées par l’Observatoire scientifique du crime et de la justice (lire l’article). Comme le note l’organisme, le sentiment d’insécurité peut exprimer « une préoccupation qui se cristallise sur la criminalité, mais qui la dépasse largement ». Il est sensible à la médiatisation : l’élection présidentielle de 2002 avait été marquée par une forte poussée du sentiment d’insécurité, alors que les faits ne mettaient pas en avant d’évolution notable.
La stabilisation, voire la diminution, de nombreux indicateurs de l’insécurité ne doit pas conduire à minimiser la question. Les statistiques de police ne prennent pas en compte les faits de faible importance, comme les insultes ou les brimades, qui constituent bien une forme d’insécurité. Il faut apporter des réponses aux 10 % de la population qui se sentent en insécurité, quelle que soit la forme qu’elle prend. Chaque année, environ 700 000 personnes de 14 ans ou plus se disent victimes de violences hors du cercle familial. Elles peuvent être de degrés très divers, mais il faut y prêter attention. Enfin, l’insécurité varie selon les territoires. 26 % des personnes qui vivent au sein des quartiers prioritaires, disent se sentir en situation d’insécurité « Souvent ou de temps en temps », contre 10 % hors de ces territoires, selon le ministère de l’Intérieur (données 2016-2018). La faible implantation de la police dans les quartiers dans lesquels l’insécurité est la plus grande et la distance entre les forces de l’ordre et les habitants participent au sentiment d’insécurité de la population.
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