Depuis la fin des années 1980, la consommation des ménages augmente à un rythme plus modéré que durant les Trente glorieuses, de l’ordre de 1 % à 2 % l’an (lire notre article). Pour autant, la structure des dépenses continue à se transformer en profondeur quand on observe la part des dépenses selon leur fonction. Ces évolutions reflètent des modifications de nos modes de vie, mais aussi des prix. Le poids des biens et services dont les prix flambent prennent une place plus importante.

La part du logement dans le budget des ménages n’a cessé de croître depuis le début des années 1960 jusqu’en 2012. La hausse observée en 2020 est une exception, la conséquence de la diminution d’autres dépenses. Cette part représente désormais plus du quart du budget des ménages. Ce phénomène est lié en partie à l’amélioration des logements (mieux isolés, plus grands, etc.) : on dépense davantage pour avoir une meilleure qualité. Il résulte aussi de la hausse des prix de l’énergie et d’une augmentation des loyers sans rapport avec cette qualité, notamment pour les petites surfaces.

À l’opposé, la part de l’alimentation a été divisée par deux de 25 à 12,5 % entre les années 1960 et le milieu des années 2000. Cette évolution est décrite depuis longtemps par la sociologie : plus le revenu s’accroît, plus la part des dépenses de base diminue. On ne mange pas dix fois par jour : quand le revenu augmente, on consacre en proportion moins pour ce type de produit. Même si les prix de certains produits alimentaires aux prix plus élevés s’élèvent, le poste décline dans le budget total parce qu’il s’élève moins vite relativement aux autres. La baisse est stoppée depuis le milieu des années 2000, peut-être en raison d’un intérêt plus grand des ménages pour la qualité des biens qu’ils consomment, ce qui se reflète dans l’essor des produits bios, par exemple.

Le phénomène est similaire pour les dépenses dans le domaine des vêtements, dont la part a été divisée par quatre (12 % de la consommation totale à moins de 3 %) en soixante ans, une diminution qui continue dans les dernières années. Il faut dans ce domaine y ajouter un effet prix important : la délocalisation de la production textile a fait chuter les étiquettes. L’évolution dans le domaine de l’aménagement du logement, passé de 9 à 5 % du budget, est de même nature.

Parmi les postes en progression au cours des dernières décennies, on trouve la santé (les soins non remboursés, de 2 à 4 %) et la communication (de 0,5 à 2,5 %). Ces deux ensembles correspondent à des évolutions sociales fortes : l’attention portée au corps et la circulation de l’information de plus en plus rapide liée à la diffusion des nouvelles technologies. Notons tout de même que la part des dépenses de communication diminue depuis le milieu des années 2000, du fait notamment de la concurrence que se livrent les opérateurs de téléphonie mobile. Enfin, La progression des dépenses de transport a été nette dans les années 1960 et 1970, mais, depuis, c’est plutôt la stagnation, si on rapporte ce poste à l’ensemble des dépenses (autour de 14 %).

Du fait des évolutions divergentes des prix, les budgets ne retracent pas toujours fidèlement la place des différents biens et services dans nos modes de vie. Ainsi, le poste « loisirs-culture » stagne entre 7 et 8 %, alors que l’on consomme de plus en plus de biens culturels : cette évolution résulte de la très forte baisse des prix dans ce domaine.

Et demain ? L’une des inconnues porte sur le logement, premier poste de dépenses. Allons-nous revenir à la tendance à la stabilité observée entre 2012 et 2019 ? Une partie des difficultés actuelles en matière de pouvoir d’achat provient du sacrifice financier réalisé pour se loger, notamment pour les locataires dans les grandes villes. Ce phénomène n’est pas observable dans les statistiques sur les niveaux de vie et la pauvreté qui ne tiennent pas compte du coût du logement. Quels seront les effets de l’évolution des prix des énergies non renouvelables qui devraient augmenter à long terme. Au-delà de l’énergie, va-t-on assister pour des produits de base, comme l’alimentation ou l’habillement, à une hausse des dépenses des ménages, liée soit à la recherche de qualité (donc des produits plus chers), soit à la mise en place de nouvelles normes environnementales qui ont un impact sur les prix ?

Dans le contexte actuel, l’incertitude est grande. Beaucoup va dépendre du rôle de la collectivité dans la régulation des prix (en matière de logement par exemple) et la prise en charge par la fiscalité de certaines dépenses, du vieillissement à la facture environnementale par exemple. L’évolution des technologies dans le domaine de l’énergie – et leurs effets sur les prix – auront aussi un rôle déterminant en matière de consommation.