De la santé à la communication, en passant par la mobilité ou les loisirs, l’accès à un univers complet de biens de consommation a révolutionné la société française et a amélioré la vie quotidienne des Français depuis les années 1950. L’équipement progresse par vagues, et on peut distinguer deux grandes périodes.

Dans les années 1960 et 1970, la France entre dans la société de consommation, avec l’emblématique téléviseur, le réfrigérateur ou le lave-linge. L’automobile aussi, mais de façon plus lente du fait de son prix. Ces biens – notamment le lave-linge – libèrent un temps considérable, en particulier pour les femmes qui réalisent l’essentiel des tâches domestiques. La télévision apporte le divertissement à domicile, l’auto offre une liberté de mouvement tout à fait nouvelle.

Pour une partie de ces biens, l’accès est désormais quasiment généralisé. Cela est moins vrai pour l’automobile. Parmi les 16 % de ménages qui n’en possèdent pas, on trouve une population aisée, souvent jeune et urbaine, qui ne s’en équipe pas par choix et qui a les moyens de payer des services de transport (taxis, voitures de location, train, etc.). Mais aussi des jeunes adultes qui n’en ont pas les moyens financiers et dont la mobilité est réduite. Deux biens d’équipement du foyer ont un statut particulier. Le micro-ondes, qui se répand très rapidement, mais arrive tardivement en France à la fin des années 1990, plus de dix années après les États-Unis et le Japon. Pour le lave-vaisselle, le modèle de diffusion est différent, la part de ménages équipés augmente lentement et très régulièrement depuis les années 1970. Une partie des ménages semblent trouver que cet équipement est secondaire et/ou manquent d’espace, notamment parmi les personnes seules (dont seul un tiers est équipé).

Les années 1990 marquent l’arrivée d’une seconde vague de biens de consommation liée aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les magnétoscopes à partir des années 1980, puis les micro-ordinateurs, qui seront suivis par les téléphones portables et l’accès à Internet (lire notre article). L’arrivée de nouveaux écrans, tablettes, téléphones, ordinateurs portables font même décliner la part des ménages équipés de téléviseur. L’effet reste modeste, on passe de 97 % à 95 % de taux d’équipement entre 2013 et 2019, mais réel. Contrairement à une idée répandue, la vitesse de diffusion des biens des nouvelles technologies n’est guère plus rapide que celle des vagues précédentes : le téléphone portable ne s’implante pas plus vite que la télévision dans les années 1960. En 1962, 23 % des ménages étaient équipés contre 75 % en 1972.

Et demain  ?

Comment va évoluer l’équipement des ménages dans les années qui viennent ? On l’a vu, la quasi-totalité des ménages est équipée en réfrigérateur, télévision ou lave-linge. À tel point que l’Insee ne mesure plus les taux d’équipement en biens que pour l’ordinateur et l’automobile, laissant dans l’ombre tout le reste. Ce qui pose un problème de fond pour analyser les conditions de vie des plus démunis : on ne sait plus dire qui n’a pas de réfrigérateur ou de machine à laver par exemple.

L’équipement en automobile progresse beaucoup moins vite depuis dix ans. Il est très probable qu’il restera une part de ménages non équipés plus grande que pour d’autres biens, probablement autour de 10 %. Certains biens vont disparaître. L’Insee ne mesure plus l’équipement en lecteur CD, qui se marginalise, comme l’a été la platine disque. Après les 78 tours, les 33 tours, les cassettes audios et vidéo, les CD et DVD disparaissent progressivement des foyers : l’accès à l’image et au son est dématérialisé, sauf pour une poignée d’amateurs. Le marché du livre électronique demeure embryonnaire, et la lecture de livres décline. L’équipement en ordinateur baisse lui aussi, du fait des smartphones qui rendent moins nécessaire cet objet encombrant dans les logements de petite taille.

Va-t-on assister à l’arrivée d’une nouvelle vague d’équipements ? Le home cinéma – et en particulier les grands écrans TV – ont encore des marges de progression, mais l’Insee ne le mesure pas. L’ordinateur pourrait disparaître de nombreux foyers, mais, pour une partie des travailleurs, l’équipement de bureau à domicile pourrait se développer si le télétravail s’étend. Comme à la fin des années 1960, la critique de la société de consommation est vive aujourd’hui, notamment du fait de ses répercussions sur l’environnement : va-t-on vers une société plus frugale, dans laquelle on se pose davantage la question du sens de la consommation ? Pour l’instant, ces préoccupations restent l’apanage des catégories favorisées.

Une grande partie des catégories populaires demeurent loin du standard de vie moyen du pays. L’élévation des niveaux de vie a porté l’équipement des ménages et a réduit une partie des écarts entre milieux sociaux, ce qui a conduit à une homogénéisation de l’équipement. Depuis 20 ans, ce n’est plus le cas : d’où le ralentissement de la consommation. En outre, la distinction sociale perdure, et parfois en sens inverse. Les cadres supérieurs se distinguent par le fait de ne pas être équipés en télévision. Ainsi, 31,6 % d’entre eux ont deux postes contre 48,7 % des ouvriers (données Insee 2019). Les écarts entre milieux sociaux se font dans l’usage des biens (le temps passé devant le petit écran par exemple), dans leur qualité (le type de véhicule par exemple) et surtout dans l’accès aux services (abonnements, services à domicile, etc.). Ces derniers sont moins visibles, mais ils sont tout aussi essentiels. La société de consommation se déplace, pour partie, vers l’immatériel.

Ce mouvement d’équipement des foyers ne doit pas faire oublier qu’une partie des ménages est laissée pour compte du progrès et n’accède pas aux normes de base de la société. C’est vrai du logement en général, mais aussi de l’équipement du foyer. Il faut garder en tête que 2 % de la population française représente tout de même plus d’un million de personnes. Pour elles, le sentiment d’exclusion est d’autant plus fort que l’équipement en biens de consommation est généralisé. Mais l’Insee ne permet plus de le mesurer malheureusement.

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