Le rapprochement des taux d’activité des femmes et des hommes constitue l’une des grandes transformations sociales des 80 dernières années. Des années 1930 à la fin des années 1960, le taux masculin diminue. En 1931, presque tous les hommes qui ont entre 15 et 64 ans occupent une activité rémunérée, ils ne sont plus que 88 % en 1968. De moins en moins d’adolescents commencent à travailler à 15 ans et petit à petit les régimes de retraite se développent. Pendant cette période, le taux d’activité des femmes reste stable, autour de 50 %. Il ne s’agit que d’activité officielle : une partie ne sont pas comptabilisées comme actives, mais travaillent sans être déclarées, notamment à la ferme.
Les années 1970 marquent un tournant. L’allongement de la scolarité des filles à partir des années 1950 et, plus globalement, le mouvement d’émancipation des femmes font que ces dernières se portent de plus en plus sur le marché du travail officiel. La France, en pleines Trente Glorieuses, a aussi besoin de bras. À partir des années 1980, le taux d’activité des hommes se stabilise, mais celui des femmes continue sur sa lancée, en dépit du ralentissement économique. L’écart entre les taux d’activité des femmes et des hommes, qui était de 50 points en 1931, n’est plus que de dix points à la fin des années 2000.
La fourchette d’âge de 15 à 64 ans permet d’observer les grandes évolutions historiques, mais rend mal compte des comportements d’activité professionnelle à l’âge adulte, notamment du fait de l’allongement des études. Pour les observer, il faut se concentrer sur les 25-49 ans, l’âge central de l’activité professionnelle. À cet âge, exercer une activité rémunérée est la condition de l’autonomie économique et un élément essentiel du statut social.
Au milieu des années 1970, la quasi-totalité des hommes de 25 à 49 ans sont actifs (97 %), mais ce n’est le cas que de 60 % des femmes. Quarante ans plus tard, en 2010, le taux d’activité féminin a grimpé à 85 %. La place des femmes dans la société a été bouleversée. Ce phénomène a été largement médiatisé et analysé. Ce qui l’est moins, c’est ce qui s’est passé depuis.
Deux nouvelles tendances
Depuis plus de dix ans maintenant, deux nouvelles tendances apparaissent. D’une part, la progression du taux d’activité féminin est stoppée : de 84 % en 2021, il est légèrement inférieur à son niveau de la fin des années 2000. Les courbes de taux d’activité féminin et masculin ne se rapprochent plus. Un nouveau « plafond de verre » en matière d’activité professionnelle ? D’autre part, le taux d’activité masculin diminue lui aussi. Sa lente érosion s’est accélérée à partir de 2010. Au cours des quarante dernières années, le taux est passé de 97 % à 93 %. On peut penser qu’une partie des hommes comme des femmes, découragés devant les conditions d’emploi (bas salaires, chômage, mauvaises conditions de travail), se sont retirés de l’activité à partir de la fin des années 2000. Le taux d’activité global des 25-49 ans est passé de 89,5 % en 2019 à 80 % en 2020. L’effet est modeste, mais l’inversion de tendance est historique.
Plusieurs types de facteurs se conjuguent. 25-49 ans, c’est aussi l’âge où l’on est parent, ce qui est sans doute l’un des obstacles à la poursuite de la progression du taux d’activité féminin : une partie des femmes décrochent du marché du travail du fait de la persistance des inégalités dans les tâches domestiques notamment. On peut aussi imaginer que nous sommes arrivés à un nouvel équilibre où 15 % des adultes environ demeurent inactifs, soit de manière contrainte (du fait par exemple de faibles niveaux de qualification), soit de manière choisie, pour se consacrer à des activités non professionnelles (s’occuper de ses enfants, mais pas uniquement).
À l’avenir, on peut se demander quel sera l’effet de la baisse du chômage amorcée depuis 2015. Si elle se poursuit et se traduit par une amélioration des conditions d’emploi, cela pourrait attirer de nouveaux actifs. Le deuxième paramètre à prendre en compte sera l’équilibre des rôles entre femmes et hommes pour les générations qui arrivent à l’âge adulte : y aura-t-il un effet « #MeToo » à la maison qui se répercuterait dans l’activité féminine ? Cela reste à voir. Au-delà, c’est la place même du travail dans nos vies qui est en cause : elle restera centrale bien longtemps, mais il est possible qu’une fraction croissante des adultes s’en désengage.
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