En 2014, pas moins de 47 % des fils de cadres supérieurs étaient eux-mêmes cadres sup, contre moins de 20 % de l’ensemble des fils et moins de 10 % des enfants d’ouvriers (les tableaux se lisent horizontalement), selon l’Insee . L’égalité des chances est bien lointaine puisque les fils de cadres deviennent cinq fois plus souvent cadres eux-mêmes que ceux d’ouvriers. Les trois quarts des enfants de cadres supérieurs sont restés dans leur catégorie sociale ou se situent parmi les professions intermédiaires. La situation des enfants d’ouvriers est le reflet inverse de celle des enfants de cadres : 48 % sont demeurés ouvriers alors que seuls 10 % des fils de cadres sont devenus ouvriers. La situation des employés et des professions intermédiaires est plus incertaine. Si un quart des enfants des professions intermédiaires ont grimpé dans la hiérarchie pour devenir cadres sup, plus du tiers sont redescendus au niveau employé ou ouvrier. Un tiers des enfants d’employés sont devenus ouvriers, mais 42 % a accédé à une position sociale supérieure, soit parmi les professions intermédiaires (26,1 %) ou les cadres supérieurs (16,3 %).

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Par rapport aux données du début des années 20001, les évolutions sont très faibles. La reproduction sociale a très légèrement baissé chez les cadres puisqu’à l’époque 52 % des enfants de cadres sup étaient eux-mêmes cadres, mais inversement les enfants d’employés et de professions intermédiaires deviennent un peu moins souvent cadres supérieurs. Compte tenu des marges d’erreur2, il est difficile d’y voir une évolution nette, ce qui était déjà la conclusion de l’Insee en 2006 pour la période 1977-2003. Bref, la stagnation dure depuis près de quarante ans, ce qui commence à faire long d’autant que pendant ce temps le niveau des diplômes s’est nettement élevé.

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Si on compare les 30 à 59 ans de 2014 avec la génération précédente en considérant les hommes et les femmes, la mobilité vers le haut continue très légèrement à prendre le pas sur la mobilité vers le bas : 23,9 % des personnes ont connu un parcours ascendant par rapport à la situation de leur père, contre 21,7 % qui ont connu un parcours inverse. Un tiers est resté au même niveau et un cinquième a changé de statut (salarié vers non salarié ou l’inverse). Ceci dit, ces moyennes masquent des situations inversées chez les femmes et les hommes. Les premières sont moins souvent en ascension sociale qu’en parcours descendant alors que les seconds grimpent plus souvent. Les femmes sont beaucoup plus souvent diplômées et actives, mais seul un cinquième a dépassé la position sociale de leur père. Ces données traduisent les difficultés qui persistent pour les femmes à accéder aux positions les plus élevées de la hiérarchie sociale alors qu’elles sont de plus en plus souvent davantage diplômées que les hommes3.

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« L’égalité des chances  », proclamée de façon répétée par la République, reste donc une fiction. Certes, l’ascenseur social n’est pas bloqué : un tiers des fils d’ouvriers sont devenus cadres supérieurs ou professions intermédiaires. Mais il s’élève plus lentement qu’auparavant du fait du ralentissement des créations d’emplois. Et encore, les derniers chiffres de l’Insee portent sur des personnes âgées de 30 à 59 ans en 2014. Elles sont donc nées au plus tard en 1984 et au plus tôt en 1955. Ces chiffres « moyennisent » des générations aux destins très différents et ne disent rien des générations nées à partir du milieu des années 1980, celles qui notamment ont dû entrer sur le marché du travail en plein marasme économique à la fin des années 2000. Il y a fort à parier que ces données enjolivent la situation pour les générations les plus récentes.

Mobilité sociale : les filles oubliées ?

Le plus souvent, les analyses de la mobilité sociale portent sur la situation des fils par rapport à leur père. Où sont les filles ? La difficulté d'intégrer les tables de mobilité des filles par rapport aux mères est qu'au cours des dernières décennies, le taux d'activité féminin a considérablement progressé. On compare des univers très différents et on mesure surtout la progression de l'activité professionnelle des femmes.

 

Des parcours enfin détaillés

Les données sur la mobilité sociale portent sur de vastes ensembles (« cadres supérieurs », « employés », « ouvriers », etc.), qui rassemblent des millions de personnes, occupant des métiers très différents. Un travail du sociologue Cédric Hugrée4 permet d’offrir une vision plus fine dans l’observation du destin social, en détaillant les catégories socioprofessionnelles en sous-ensembles. Les tables de mobilité deviennent complexes à représenter, mais prennent de l’intérêt. Nous avons figuré dans le tableau ci-dessous en bleu les trois catégories les plus souvent occupées par les fils d’une CSP donnée (ce tableau se lit aussi horizontalement, les chiffres des colonnes correspondent aux intitulés des lignes). Les enfants d’agriculteurs deviennent agriculteurs, mais encore plus souvent ouvriers. Les enfants d’artisans deviennent plus souvent ouvriers qualifiés qu’artisans, les enfants de commerçants plus souvent cadres supérieurs ou professions intermédiaires, etc. Une partie non négligeable des enfants d’ouvriers bascule vers le monde des employés de la fonction publique ou occupe un emploi de service aux particuliers, ce qui résulte de la prise en compte des filles dans la mesure. La catégorie « employés » est en effet très fortement féminisée et l’on y trouve des emplois peu différents en termes de rémunérations et de conditions de travail de l’univers ouvrier, comme le rappelle le sociologue Camille Peugny5. Ceux qui restent le plus souvent cadres sont les enfants de professions libérales : 3 % seulement sont devenus ouvriers. « Il s’agit de loin de la catégorie socioprofessionnelle dont les destinées des descendants sont aujourd’hui à la fois les plus favorables mais aussi les plus balisées », indique Cédric Hugrée. Un quart des enfants d’employés administratifs est en ascension, vers un emploi de profession intermédiaire dans la fonction publique ou cadre du privé. Inversement, un dixième des enfants de techniciens ou contremaîtres sont devenus ouvriers qualifiés.

 

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Destin ou origine : deux façons de mesurer la mobilité 
Pour comprendre la mobilité sociale, il faut construire des tables de mobilité. On interroge des personnes d’un âge déterminé sur leur position sociale et celle de leur père. On peut mesurer leur « origine » : pour 100 enfants d’une catégorie sociale donnée, il s’agit de savoir quelle est celle qui était occupée par leur père. On indique alors « X % des enfants de cadres ont un père cadre, Y % un père ouvrier, etc. ». On aussi mesurer leur « destinée » : pour 100 enfants dont le père était d’une catégorie donnée, il s’agit de connaître leur position sociale actuelle. On indique alors « X% des enfants dont le père était cadre sont devenus cadres, Y % sont devenus ouvriers, etc. ». Par souci de simplicité, nous avons choisi de ne représenter que cette dernière possibilité.

Notes:

  1. Voir « En un quart de siècle, la mobilité sociale a peu évolué », Stéphanie Dupays, in Données sociales, éd. 2006, mai 2006.
  2. On notera aussi que l’Insee a changé légèrement de méthode en observant les 30 à 59 ans contre les 40 à 49 ans auparavant.
  3. Comparées à leurs mères, on observerait en revanche de très fortes progressions dans la hiérarchie sociale.
  4. Voir « Les sciences sociales face à la mobilité sociale. Les enjeux d’une démesure statistique des déplacements sociaux entre générations », Politix n°114, 2016/2. Et aussi « La mobilité intergénérationnelle des actifs au début des années 2010 », Anne Châteauneuf-Malcés, www.ses.ens-lyon.fr, 24 novembre 2016.
  5. Voir « Les classes sociales ne disparaissent pas, elles changent de visage », Camille Peugny, Observatoire des inégalités, janvier 2016.