15-24 ans ? 18-29 ans ? Comment définir l’âge auquel on est « jeune » ? La jeunesse1 constitue une phase de la vie intermédiaire entre l’enfance et l’âge adulte, marquée par un accès progressif à l’autonomie. Les sciences humaines utilisent le plus souvent l’intervalle d’âge des 15-24 ans. Une définition discutable : les seuils d’entrée et de sortie de la jeunesse sont progressifs et dépendent des milieux sociaux.
À quel moment se termine l’enfance et commence la jeunesse ? 15 ans correspond environ à l’âge de l’adolescence, de la puberté (plus précoce chez les filles). À 16 ans, on est recensé et on obtient de nouveaux droits : une carte Vitale d’assuré social (et le droit de choisir son médecin), le droit de créer une association, de conduire (accompagné de ses parents). C’est surtout l’âge moyen où l’on obtient de ses parents le droit de se déplacer et de sortir seul le soir, où l’horizon des amis s’élargit et les relations amoureuses deviennent plus sérieuses. On pourrait tout aussi bien pu adopter 18 ans comme limite basse de la jeunesse, l’âge de la majorité légale. À cet âge, le nombre de personnes sorties du système scolaire commence à augmenter : un peu moins d’un quart des jeunes ont déjà quitté l’école.
On entre ensuite dans une période plus ou moins longue de marche vers l’indépendance : on n’est plus adolescent, mais on ne vole pas encore de ses propres ailes. C’est cette phase de la vie que les sociologues appellent « la jeunesse ». Plusieurs étapes marquent, progressivement, le passage dans le monde des adultes.
La première est la fin des études. Entre les générations nées entre les années 1950 et celles nées dans les années 1980, l’âge médian de fin d’études est passé de 16,5 ans à 20 ans pour les filles et de 18,6 ans à 19,7 ans pour les garçons. L’effort scolaire de la France a surtout eu lieu dans les années 1960 à 1980. Depuis les générations nées au milieu des années 1970 l’âge de fin d’études n’augmente plus. L’espérance de scolarisation à l’âge de deux ans2 est de 18 ans en 2015-2016, au même niveau qu’en 1991.
L’âge du premier emploi a progressé du fait de l’allongement des scolarités mais aussi des difficultés à trouver rapidement du travail en sortant de l’école. Il est passé de 17,3 ans à 20 ans entre les filles nées dans les années 1950 et celles nées dans les années 1980, et chez les garçons, de 16,8 ans à 19,6 ans.
L’âge médian du départ du foyer parental est lui resté quasiment stable entre les générations des années 1950 et celles des années 1980, autour de 20 ans pour les filles et 21 ans chez les garçons. Les difficultés à trouver un emploi stable qui permet de louer un logement et la hausse du prix des loyers contraignent un nombre croissant de jeunes à rester chez leurs parents.
On pourrait ajouter à cette chronologie comme ultime étape du basculement dans l’âge adulte la formation d’un couple et le fait d’avoir des enfants. L’âge de la première cohabitation est passé de 21,4 à 22,5 ans chez les femmes entre celles nées dans les années 1950 et les années 1980, de 23,5 ans à 25 ans chez les hommes. Les maternités sont de plus en plus tardives : l’âge moyen des mères3 est passé de 27 ans dans les années 1970 à presque 31 ans en 2020. Les couples qui se forment maîtrisent mieux le calendrier de la procréation, mais surtout se donnent du temps pour de nombreuses raisons ; parfois pour profiter de davantage de temps pour soi (sociabilité, loisirs, voyages, etc.), mais aussi faute de pouvoir disposer d’un logement de taille acceptable, ou d’un emploi plus durable.
Allongement de la jeunesse ?
La frontière entre l’âge de la jeunesse et l’âge adulte est bien difficile à cerner. On pourrait distinguer d’autres seuils, comme l’âge moyen de la première déclaration d’impôt, qui consacre l’indépendance fiscale, la vraie autonomie économique. Où le fait de vivre en couple et d’avoir des enfants, même si une partie des adultes n’ont jamais eu d’enfant et n’en ont pas moins quitté la jeunesse…
Ces données montrent que contrairement à un discours fréquent, l’allongement de la jeunesse4 est un processus ancien, qui correspond aux générations des années 1950 et 1960, beaucoup moins aux suivantes. Au passage, il est surtout important pour les hommes, qui quittent en moyenne plus tard le foyer parental. Sans doute assiste-t-on plutôt à un déplacement très lent de l’âge de la jeunesse : on reste adolescent un peu plus longtemps et on devient vraiment autonome un peu plus tard, du fait des difficultés économiques et d’études un peu plus longues. Le temps de la jeunesse se déplace, ce qui est cohérent avec l’élévation de l’espérance de vie, mais ne s’allonge guère.
Ce concept de « jeunesse », utilisé très fréquemment, s’applique au fond surtout à la partie de la population, qui a eu la chance de faire des études supérieures. À 19 ans, un tiers des jeunes ne sont plus scolarisés, à 23 ans, les trois quarts sont dans ce cas. Fixer l’âge de la fin de la jeunesse à 29 ans par exemple, comme c’est parfois le cas, n’a guère de sens. Pour beaucoup de jeunes Français, l’âge de la « jeunesse », telle qu’elle est présentée, se résume à une période courte : après l’école, il faut vite essayer de trouver du travail et entrer dans le monde des adultes. La jeunesse n’est-elle qu’un « mot », comme l’indiquait le sociologue Pierre Bourdieu ? 5. C’est en tout cas une construction statistique fragile, très dépendante des catégories sociales. Entre le jeune en galère d’emploi à 18 ans et celui qui termine sa thèse à 25 ans, les réalités sociales sont très différentes.
Notes:
- On emploie parfois l’expression « jeunes adultes ». ↩
- La durée moyenne de scolarisation qui serait celle si l’on appliquait les taux de scolarisation par âge de cette année là. ↩
- Toutes naissances confondues, pas uniquement la première. ↩
- Voir L’allongement de la jeunesse, sous la dir. de Allessandro Cavalli et Olivier Galland, Actes Sud, 1993. ↩
- Entretien avec Anne-Marie Métailé, repris in Pierre Bourdieu, in Questions de sociologie, Minuit, 1984. ↩