La France pourrait compter 68 millions d’habitants en 2070, soit quasiment le même niveau qu’aujourd’hui estime l’Insee dans son dernier exercice de projection de population1. Ce scénario est dit « central » : il projette les tendances d’évolutions actuelles en tenant compte de trois grands paramètres : la mortalité, la fécondité et l’immigration. Dans ce scénario, l’espérance de vie à la naissance atteindrait 87,5 ans pour les hommes et 90 ans pour les femmes en 2070, la fécondité resterait stable à 1,8 enfant par femme et le solde migratoire serait de 70 000 par an en moyenne au cours des 50 prochaines années. Cette prévision aboutit à une population nettement inférieure au précédent exercice de 2016, qui prévoyait 76 millions d’habitants comme hypothèse principale pour 2070. L’Insee a misé sur des gains plus faibles d’espérance de vie (90 ans pour les hommes et 93 ans pour les femmes prévus en 2016) ainsi qu’une fécondité réduite (1,95 enfant par femme en 2016). Le solde migratoire est estimé comme stable.
Dans les perspectives dressées par le scénario central de l’Insee, le nombre de décès va augmenter jusqu’en 2045 et celui des naissances diminuer par paliers pour atteindre environ 650 000 par an en 2070. En 2035, pour la première fois, les premiers seraient supérieurs aux secondes. Le « solde naturel » sera alors négatif. Du fait du solde migratoire, c’est environ dix ans plus tard que la population française commencerait à baisser.
L’Insee étudie différentes variantes. Dans une hypothèse dite « haute », la population atteindrait 79 millions d’âmes, soit plus de dix millions de plus qu’aujourd’hui. Dans ce cas, l’espérance de vie atteindrait 91 ans pour les hommes et 93 ans pour les femmes, la fécondité se situerait à deux enfants par femme à partir de 2030. Dans son hypothèse basse, la population baisserait de dix millions d’habitants pour atteindre 58 millions en 2070, la fécondité serait de 1,6 enfant par femme à partir de 2030.
Prévoir l’imprévisible ?
Doit-on croire ces chiffres ? Nouvelle catastrophe sanitaire ou progrès scientifiques majeurs en santé, effondrement de la fécondité ou baby-boom, fermeture hermétique des frontières ou vague migratoire comme dans les années 1960, tout est possible. Par définition, l’Insee ne peut prévoir l’imprévisible. Si on écarte ces types d’événements, l’espérance de vie devrait continuer à progresser. La crise de la Covid-19 pèse sur l’espérance de vie, mais elle peut aussi conduire à la mise en place de nouveaux traitements, repoussant les limites de la vie. La fécondité est assez stable autour de 1,8 enfant par femme depuis 40 ans (lire notre article). Les années 2000 avaient été marquées par une remontée des naissances, suivie d’une baisse à partir de 2010, il est impossible de savoir si cette réduction va se prolonger ou non. Les incertitudes sont plus grandes en matière de solde migratoire qui peut fortement varier en fonction des politiques menées, de l’évolution de l’activité économique et des conflits internationaux.
Nouvel équilibre ?
Le scénario central des nouvelles projections de l’Insee dessine un nouvel équilibre démographique avec des gains faibles d’espérance de vie, une fécondité de l’ordre de 1,8 à 2 enfants par femme qui, compte tenu d’un apport migratoire relativement régulier, assure une population stable sur le long terme. Ce serait la fin d’une période de forte progression de la population française amorcée après la Seconde Guerre mondiale, qui a fait un bond de 24 millions d’habitants entre 1945 et 2020. Cette situation serait plutôt une bonne nouvelle en matière de consommation des ressources et de dégradation de l’environnement, même si d’autres paramètres jouent au moins autant : le niveau de consommation par habitant et le type de consommation.
Ces projections doivent nous permettre d’anticiper. L’évolution de la population a de nombreuses conséquences concrètes. Ainsi par exemple, dans l’hypothèse centrale, le nombre d’habitants va tout de même encore augmenter de deux millions d’ici à 2040 avant de diminuer. Il faut le prévoir, car cela va modifier l’urbanisme, et il faudra penser aussi les nouvelles infrastructures (logements, routes, écoles, hôpitaux, commerces, etc.) qui vont avec.
D’ici à 2070, la proportion des plus de 65 ans devrait passer de 20 à 29 %, pour l’essentiel en raison de la progression de la part des plus de 75 ans. Les effets du vieillissement sont très souvent exagérés (lire notre article). Il n’en demeure pas moins que des évolutions seront nécessaires. Pour maintenir l’équilibre des retraites par répartition (les actifs cotisent pour les retraités), faudra-t-il continuer à allonger l’âge de départ ou augmenter les cotisations à l’avenir ? Cette question est politiquement centrale. De plus en plus de générations vont coexister, avec des enfants qui connaîtront plus souvent leurs arrière-grands-parents. La question de la prise en charge des aînés (lire aussi notre article) sera encore plus prégnante : se fera-t-elle par des services collectifs (à domicile ou en institution) en faisant jouer la solidarité nationale par l’impôt ? Ou devra-t-on compter sur les solidarités familiales et le secteur privé marchand ? En particulier, les femmes (principales « aidantes ») des milieux qui n’auront pas les moyens d’avoir recours au privé devront y consacrer une part importante de leur temps. Les projections de l’Insee ouvrent de nombreux débats.
Notes:
- Voir « 68,1 millions d’habitants en 2070 », Insee première n°1881, Insee, novembre 2021. ↩