Mais où est donc passée la « pauvre France périphérique » sensée peupler les campagnes, les petites villes et le périurbain ? Les données s’accumulent pour prouver l’inverse. Non seulement les pauvres vivent dans les grandes villes, mais c’est aussi le cas des ouvriers et des employés, comme le montrent les calculs de Violaine Girard, maître de conférence à l’Université de Rouen à partir des données de l’Insee1. Ses données indiquent que presque les deux tiers des actifs vivent dans les pôles urbains2, un quart dans le périurbain et 13 % dans l’espace rural au sens large3.

On peut observer la répartition des catégories sociales sur le territoire de deux façons. D’un côté, le lieu de vie de chaque catégorie selon le type de territoire (premier tableau). De l’autre, la composition de chaque territoire en fonction des catégories sociales (second tableau).

Si l’on étudie d’abord comment se répartissent les catégories, on remarque en premier lieu que les agriculteurs exploitants sont beaucoup plus présents dans l’espace rural, ce qui n’a rien de bien original. Ceci dit, pas moins de 40 % vit dans une commune périurbaine4 et 11 % au sein d’un pôle urbain. Artisans, commerçants, chefs d’entreprises et ouvriers occupent les mêmes types d’espaces  : un peu plus de la moitié vivent dans les grands pôles, 28 % dans le périurbain et un peu moins de 20 % en milieu rural. Ils sont sous-représentés dans les plus grands pôles urbains, mais y vivent majoritairement. Employés et professions intermédiaires sont proches de la moyenne nationale : les deux tiers dans les pôles urbains, un quart dans le périurbain et 12 % en milieu rural. Enfin, les trois quarts des cadres supérieurs vivent dans les grandes villes (où ils sont sur-représentés), un cinquième dans les couronnes périurbaines et 6 % en milieu rural5.

Même si le développement des infrastructures de transport permet des mobilités, cette répartition traduit celles des activités économiques : l’agriculture en milieu rural (parfois périurbain), l’industrie autour des villes mais non dans leur centre, les services plus souvent dans les centres des agglomérations (sauf la grande distribution notamment). Elle suit aussi les prix de l’immobilier à l’achat ou à la location, rédhibitoires dans certains quartiers du coeur des villes pour les plus modestes, d’où la présence renforcée des cadres supérieurs.

Comment est composé chaque espace ? Même en milieu rural, considéré au sens large, incluant les villes de taille modeste, les agriculteurs sont ultra-minoritaires. Ils ne représentent que 6 % de la population, dix fois moins que les employés et les ouvriers. L’espace périurbain est celui qui ressemble le plus à la composition sociale des actifs occupés : une majorité d’employés et d’ouvriers, un quart de professions intermédiaires, 12 % de cadres supérieurs, 6,5 % de non-salariés et 2,5 % d’agriculteurs. Les cadres représentent 19 % des actifs vivant dans les pôles urbains contre 15 % de l’ensemble des emplois. Dans ces grandes villes, ouvriers et employés demeurent majoritaires.

La majorité des milieux populaires vit dans les grandes villes, elles-mêmes principalement composées d’ouvriers et d’employés mais où les cadres sont sur-représentés. La composition sociale des territoires reflète des dynamiques complexes, de longue durée : « Si l’on assiste à un embourgeoisement de plus en plus marqué des centres des grandes métropoles, la croissance des couronnes périurbaines se traduit aussi par le maintien d’espaces résidentiels au peuplement beaucoup plus diversifié socialement », analyse Violaine Girard. Le milieu périurbain est plus mixte et l’espace rural (qui ne regroupe que 13 % de la population) comprend davantage de catégories populaires.

Notes:

  1. Données 2010 de l’Insee fournies par l’auteure. Voir son analyse dans : « Métropolisation et périurbanisation : les évolutions sociales de la France urbaine », Cahiers Français n°383, novembre-décembre 2014.
  2. Ce regroupement comprend les grands et moyens pôles urbains, qui comptent au moins 5 000 emplois.
  3. Qui rassemble le rural isolé et les petits pôles urbains de 1 500 à 5 000 emplois.
  4. Dont il ne faut pas oublier qu’une partie est rurale, selon la définition de l’Insee.
  5. Ces données précisent celles que nous avions publiées par taille d’unité urbaine