L’épargne des Français est répartie de manière particulièrement inégale. En moyenne, un adulte seul met de côté 4 800 euros par an (données Insee 2017), soit 16 % de son revenu. Mais alors que les 20 % du bas de l’échelle en épargnent 3 % (360 euros), les 20 % les plus riches économisent 16 000 euros, soit presque 30 % de leurs revenus, l’équivalent du revenu annuel des 20 % les plus pauvres !
Ces données minimisent beaucoup les inégalités car elles portent sur des tranches de revenus très larges. Les 20 % les plus pauvres rassemblent à la fois des ménages totalement démunis qui ne font aucunes économies, voire s’endettent, et des familles modestes qui ne dépensent pas la totalité de leurs revenus. Parmi les 20 % les plus aisés, on trouve aussi bien des cadres supérieurs que des grandes fortunes : à partir d’un très haut niveau de revenu, il devient bien difficile de le dépenser entièrement, même en ayant un train de vie très dispendieux.
D’autres variables jouent (voir tableau ci-dessous). L’épargne augmente avec l’âge. Avant trente ans, on épargne peu, moins d’un dixième de ses ressources. Puis les revenus s’accroissent au fil de la vie professionnelle et les dépenses diminuent le plus souvent : il devient plus facile de mettre de l’argent de côté. Le taux d’épargne s’élève à 18 % à partir de 50 ans et atteint 25 % à partir de 70 ans. Les données selon le milieu social distinguent d’abord les non-salariés (artisans, commerçants, etc.) dont les revenus et l’épargne sont très supérieurs aux autres catégories sociales. Outre le fait que les chiffres soient difficilement comparables (entre des revenus d’activité non-salariée et des salaires), une partie des économies des indépendants sert à se prémunir contre des aléas professionnels. Parmi les salariés en activité, les cadres supérieurs se détachent du lot avec des revenus très élevés (près de 43 000 euros en moyenne pour une personne seule) et une épargne de 6 700 euros par an, soit 16 % de leurs revenus. À l’opposé, les catégories populaires ont peu à mettre de côté : les ouvriers épargnent 2 800 euros par an et les employés sont même en négatif (ils s’endettent).
Se prémunir
Le fait de disposer ou non d’un capital (qu’il s’agisse d’immobilier ou de placements financiers) est, en période de manque d’emploi durable, un élément qui structure les inégalités dans la société. Détenir un capital permet de se procurer un niveau de vie supérieur au moment du passage à la retraite, notamment pour ceux qui ont assez mis de côté pour devenir propriétaires et ne plus avoir de loyer à payer. Enfin, l’épargne assure le transfert de la richesse au fil des générations. Chez les plus aisés, elle constitue un stock qui grossit d’année en année, dont une partie ira aux descendants. La richesse s’accumule.
Ces données sont intéressantes à plusieurs titres. Elles permettent de comprendre l’impact des politiques publiques. Ainsi par exemple, plus les baisses d’impôts sont favorables aux plus aisés, plus elles accroissent l’épargne et moins elles sont réinjectées dans le circuit économique. À l’opposé, une augmentation du revenu des plus pauvres retourne directement dans ce circuit économique. Au plus bas de l’échelle, les minima sociaux et les allocations se retrouvent intégralement chez les commerçants ou dans la poche des bailleurs à la fin du mois.
Ce phénomène justifie l’imposition dite « progressive » des revenus : le taux de l’impôt s’élève en fonction du niveau de vie car les dépenses sont de moins en moins utiles. En imposant davantage les tranches de revenus supérieures, l’impôt progressif freine les achats superflus et l’épargne. Il limite la constitution de « dynasties » par le biais de l’épargne, composées de générations de descendants-héritiers qui s’enrichissent sans efforts ni mérite particulier.
La crise de la Covid-19 offre enfin une nouvelle actualité aux données sur l’épargne. Face à une forte baisse de revenu, seuls ceux qui ont un bas de laine peuvent limiter la casse si la collectivité ne vient pas à leur secours. La chute risque d’être vertigineuse pour les indépendants les plus précaires ainsi que pour les 18-24 ans qui n’ont pas le droit à un minimum social. À l’opposé, faute de pouvoir consommer, notamment de réaliser des dépenses moins essentielles (hôtellerie-restauration, loisirs, etc.), les catégories des 20 % supérieurs ont épargné à tour de bras. Dans un pays en crise sociale majeure, leur bas de laine a énormément grossi.