La durée du travail annuelle des salariés a baissé de près d’un quart depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette réduction de 400 heures représente deux mois et demi de congés par an. Durant la période de la reconstruction de la France, de l’après-guerre au milieu des années 1960, la durée annuelle est restée assez stable. La France manque de main d’œuvre. Elle a diminué ensuite fortement jusqu’au milieu des années 1980 puis plus lentement sauf au début des années 2000 avec la mise en œuvre des 35 heures. Elle stagne depuis une vingtaine d’années, sauf en 2020 du fait du confinement.
La durée du travail des salariés dépend de la durée légale hebdomadaire à laquelle s’ajoute le nombre de jours de congés payés. La troisième semaine de congés payés de 1956, la quatrième de 1968 et la cinquième de 1982 ont constitué des étapes importantes : elles représentent l’équivalent du quart de la baisse enregistrée depuis 1949. Entre 1936 et 1982, la durée légale hebdomadaire n’a pas été modifiée. Les passages à 39 heures en 1982 et à 35 heures en 2000 ont constitué deux autres moments clés. L’Insee estime que les lois Robien (1996) et Aubry (1998 et 2000) ont réduit le temps de travail d’une centaine d’heures en moyenne par an. Au total, entre 1950 et 2006, la durée hebdomadaire de travail est passée de 45 à 36 heures selon l’Insee, en gros l’équivalent d’une journée en moins.
Le second facteur qui influence la durée du travail est le poids du temps partiel, qui constitue une forme de réduction du temps de travail assortie d’une diminution équivalente (dans la plupart des cas) du salaire. De 1981 à 1998, la part du temps partiel a doublé, de 8,4 à 17,5 % (lire notre article) un très fort facteur de réduction du temps de travail moyen. Il faut aussi tenir compte des pratiques des entreprises. La durée légale est une durée maximale et certaines entreprises optent pour un régime plus favorable. À l’inverse, le jeu des heures supplémentaires augmente le volume horaire global pour certains salariés. En France, sauf dérogation, la durée maximale du travail peut être de 10 heures dans une journée, 48 heures hebdomadaires ou 44 heures sur une période de 12 semaines.
Qu’on y soit favorable ou opposé, la baisse du temps de travail constitue l’une des tendances majeures des sociétés développées depuis la révolution industrielle. Elle modèle les modes de vie, le temps passé à l’école, en famille ou avec des amis, les loisirs, les vacances, etc. Sur le temps long, même si le processus est loin d’être linéaire, les sociétés ont toujours utilisé une part de la richesse monétaire créée par l’augmentation de la productivité d’un côté pour augmenter les niveaux de vie et de l’autre pour soulager le poids du travail. On observe ce phénomène à des degrés divers dans tous les pays depuis la révolution industrielle.
Le mouvement est au point mort en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. S’agit-il d’une simple pause ou d’un phénomène plus durable ? A-t-on atteint une durée plancher ? Sans doute pas, comme le montre l’exemple allemand, où la baisse se poursuit. La montée du chômage réduit les capacités de négociation des représentants des salariés et la faiblesse de la croissance pèse sur les marges des entreprises. Il faudra sans doute attendre une phrase de reprise durable pour que le mouvement reprenne sa marche.
Quelle est la « vraie » durée du travail ? La durée du travail rémunéré des salariés n’est qu’une estimation du temps réellement travaillé. Elle sous-estime nettement la réalité du poids du travail dans la vie quotidienne. Il faudrait compter les heures travaillées en plus mais « oubliées », non déclarées de façon plus ou moins tacite par le salarié, notamment dans le secteur privé. Une partie des cadres supérieurs salariés – sous certaines conditions - comptabilisent leur temps de travail en « jours » et non en heures (avec un maximum de 10 h par jour). Il y a aussi les heures de travail des non-salariés, supérieures de 10 à 15 heures en moyenne hebdomadaire à ceux des salariés, mais qui disposent en contrepartie de beaucoup plus d’autonomie en termes d’organisation et d’indépendance dans le travail. Enfin, il faudrait comptabiliser une part des tâches domestiques, principalement réalisées par les femmes, qui constitue une forme de travail non rémunéré et sans contrat, plus ou moins contraint. Tout dépend au fond de la définition donnée au mot « travail ».