« A résultats scolaires et autres caractéristiques sociales donnés, les enfants d’agriculteurs, d’employés et d’ouvriers choisissent moins souvent d’être orientés en seconde générale et technologique, sans que cette moindre ambition ne soit corrigée par les décisions du conseil de classe ». Alors que l’étude Pisa menée par l’OCDE a fait grand bruit (lire notre article), la note d’information du ministère de l’éducation (voir « pour en savoir plus ») est passée presque inaperçue. Elle n’est pas de même ampleur, mais elle en dit long sur le système éducatif français, pour peu qu’on en décrypte les résultats.
Les auteurs étudient le passage en seconde, un moment crucial pour les élèves, puisqu’aujourd’hui presque tous continuent jusqu’à ce niveau. Ils notent que les vœux des familles en fin de troisième dépendent fortement de leur milieu social. 90 % des enfants de cadres supérieurs demandent une seconde générale ou technologique, contre moins de la moitié des enfants d’ouvriers non qualifiés et d’employés de services aux particuliers. Ce phénomène persiste à niveau scolaire équivalent : avec une note comprise entre 10 et 12 au contrôle continu du brevet, 91 % des enfants de cadres demandent la voie générale ou technologique, contre 59 % des enfants d’ouvriers non qualifiés et 64 % des enfants d’ouvriers. Avec une note entre 8 et 10, les deux tiers des enfants de cadres supérieurs sont dans ce cas, contre 30 % des enfants d’ouvriers non qualifiés.
Or 95 % des vœux des familles sont aujourd’hui satisfaits. Et plus on laisse les familles choisir, plus on reproduit les inégalités sociales… Or, comme le remarque de façon très critique l’étude du ministère : « le conseil de classe n’intervient pas pour corriger à la hausse les vœux d’orientation des élèves d’origine populaire dont le niveau permettrait d’accéder à un cursus plus ouvert. Le conseil de classe tranche davantage sur l’adéquation entre le choix de la famille et les capacités de l’élève qu’il ne recherche l’orientation la plus adaptée aux performances scolaires ». Autrement dit, alors que les familles populaires intériorisent leur position sociale, le système éducatif ne contrebalance pas cet effet 1. Le ministère note au passage l’effet négatif du redoublement : les élèves ayant redoublé expriment d’eux-mêmes des vœux moins ambitieux et ils sont orientés « de façon plus sélective par les conseils de classes qui donnent moins souvent satisfaction à leur demande ». Les redoublants portent le stigmate de leur échec passé.
On tient là l’une des explications essentielle de l’impact des inégalités sociales dans les résultats des élèves. Une partie des inégalités est en effet liée à des éléments objectifs, parfois matériels : le logement, le diplôme des parents, les pratiques de loisir et de sociabilité, etc. Une autre partie résulte d’éléments subjectifs : un ensemble de mécanismes sociaux font qu’on se sent plus ou moins légitime à s’orienter dans telle ou telle filière, à niveau équivalent.
Pour partie, les familles anticipent des difficultés qui sont effectivement plus grandes pour les milieux sociaux modestes au lycée, même à niveau équivalent au collège, compte tenu de l’académisme des programmes. Elles ont alors raison d’en rabattre. Mais pour partie aussi, elles se forgent des barrières symboliques qui n’ont pas lieu d’être, et contribuent d’elles-mêmes à la reproduction sociale. Le système d’orientation ne corrige pas le tir. Autant il est intéressant de constater que de nombreux discours publics conduisent les filles à sortir des filières qui leur sont prédestinées, autant le système éducatif est muet pour ce qui est des milieux sociaux.
Pour en savoir plus : « Le déroulement de la procédure d’orientation en fin de troisième reste marqué par de fortes disparités scolaires et sociales« , ministère de l’éducation, note d’information n°13.24, novembre 2013.
Notes:
- Il ne faut pas généraliser : à titre individuel, de nombreux enseignants essaient de réaliser un effort inverse en encourageant la poursuite d’études d’élèves modestes. ↩